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Aminata Sow Fall : «L’art est un mensonge»

CULTURE
Mercredi 17 Mai 2017

Mme Aminata SOW FALL est une romancière sénégalaise née à St-Louis en avril 1941. Elle a fondé le Centre Africain d’Animation et d’Echanges Culturelles (Caec) à Dakar, et le Centre International d’Etudes, de Recherches et de Réactivation sur la Littérature, les Arts et la Culture (Cirlac), à St-Louis. Grand-Croix de l’Ordre National du Lion, elle est Docteur honoris causa de plusieurs universités américaines, et Grand Prix de la francophonie de l’Académie Française en 2015. Auteur d’une quinzaine de titres traduits dans le monde entier, nous l’avons rencontrée à l’occasion de la parution de son nouveau roman «L’Empire du Mensonge» aux Editions Khoudia/Caec.


Aminata Sow Fall : «L’art est un mensonge»
La figure thématique et esthétique de votre œuvre… quels souvenirs d’enfance vous ont aidée à «bâtir» votre œuvre romanesque ? Vous avez vécu dans un milieu social assez aisé, vous décrivez cependant dans vos livres un milieu tout à fait différent, vous décrivez avec un réalisme poignant les destins de personnages tous issus de la fange humaine, comme si vous les auriez vécus… Cette enfance heureuse, à Saint-Louis, a-t-elle paradoxalement contribué à dessiner la figure thématique et esthétique de votre œuvre ?
J’ai grandi dans un milieu social aisé, en effet, où l’humanité, la générosité, le respect d’autrui et le partage étaient des idéaux. Les démunis eux-mêmes partageaient quand l’occasion se présentait. Une de mes étudiantes en voyage au Sénégal a noté : « Ici, on peut voir des démunis partager même ce qu’ils n’ont pas. Par humanité. » C’est pourquoi la misère des autres et le mépris du pauvre me choquent…
Ecrire, c’est créer, inventer, recréer même le réel. C’est aussi la capacité de l’écrivain de prendre en charge les mutations et de les rendre crédibles…

Le premier sens du mensonge c’est dire ou faire croire ce qui n’est pas vrai. Dans ce cas c’est un défaut condamné par la société et les religions. C’est une offense à la morale.
L’Art est un mensonge dans le sens où il naît de l’invention de son auteur, pas pour faire mal, mais pour faire plaisir, pour faire rêver et élever au-delà de nos limites… Dans ce roman, L’Empire du Mensonge, je fais dire à l’un de mes personnages : «L’Art est mensonge. Le seul mensonge qui peut guérir. Un neutralisant contre les haines, les hostilités, la crétinisation». C’est même reconnu par la médecine moderne.
 
Justement, pouvez-vous opérer une incursion dans l’univers de votre dernier roman l’empire du mensonge ? Voulez-vous nous décrire la naissance de ce beau livre après toutes ces années, et comment cela a-t-il commencé ?
Un ambassadeur qui finit sa mission au Sénégal, donne une interview dans le quotidien national. Il dit tout le bien qu’il pense du Sénégal : la générosité, la beauté des femmes « authentiques », etc… Il finit son entretien en disant: «Le seul hic, c’est qu’ici personne ne vous dit la vérité.»
 
Votre œuvre littéraire peut, à juste titre, être qualifiée d’œuvre engagée. Vous dénoncez des tares sociales et politiques… Est-ce là un choix ?
Je n’ai jamais pensé écrire des romans engagés politiques. Je n’ai jamais été attirée par la littérature idéologique, pensant que cette littérature a sa place dans des essais ou pamphlets… Pas de littérature engagée, donc au sens politique du terme, mais une littérature qui célèbre la dignité humaine.
 
Quelle est la place des castes dans votre œuvre ?
Le problème des castes n’en est pas un. Les castes font partie de nos sociétés, comme toutes les autres franges de la population. En égale dignité ils participent à la cohésion et à la sauvegarde de nos valeurs, tant qu’ils restent fidèles aux principes, idéaux et responsabilités qui sont les leurs…
 
Le «xessal» existait déjà en 1973. Vous avez été la première romancière à en parler dès votre premier roman LE REVENANT.
La mode, le mimétisme…La noirceur d’ébène, c’est beau.
 
Grande figure de la vie culturelle, vous avez créé en 1987 le Caec (Centre africain d’animation et d’échanges culturels) et les éditions Khoudia, à Dakar. Quelques années plus tard, en 1991, vous créez le Cirlac (Centre internationale d’études, de recherches et de réactivation sur la littérature, les arts et la culture). Toutes ces initiatives avaient obtenu beaucoup de succès… sont-elles aujourd’hui abandonnées ?
Non, elles ne sont pas abandonnées! En ce moment nous relançons le Caec et tous ses organes… Les locaux à Dakar n’étant plus adaptés à nos préoccupations, nous avons déménagé. Le Caec et les Editions Khoudia sont donc transférés à Saint-Louis sur le même site qui abrite le Cirlac…
Le Caec, dont sa devise est : «lire, produire, s’enrichir culturellement», a sa propre identité. Le Caec abrite la maison d’édition Khoudia pour la promotion du livre. Le Cirlac a une vocation plus internationale : grandes conférences, séminaires, études et réactivation de notre patrimoine culturel et artistique…
 
Il y a, si l’on peut dire, une cassure entre vos premiers romans où l’on retrouve une écriture plus classique, et celui de l’empire du mensonge, votre dernier ouvrage qui semble être plus proche de l’oralité. Dans ce roman l’écriture est concise, orale, presque cinématographique…
Lorsque je décide d’écrire un roman, je ne me demande pas si le style sera classique. Ce n’est pas un choix délibéré. Je n’écris pas pour le cinéma, bien que quelques-unes de mes œuvres aient été adaptées pour l’écran. Seulement une conviction est que le thème du roman et ses séquences commandent le style. Dans un même roman l’expression et certaines parties orientent le style.
 
Vous avez aussi écrit des nouvelles dont l’une a été éditée dans le quotidien «le monde». Romans, nouvelles… le théâtre ne vous a-t-il jamais tentée ?
Avant le roman, j’ai été effectivement attirée par le théâtre pour avoir admiré des textes classiques dans nos programmes à travers les représentations de troupes théâtrales de passage au Sénégal… Le rythme du théâtre, la tragédie au théâtre m’avaient beaucoup impressionnée à l’époque. J’ai gardé dans mes papiers des ébauches de plusieurs pièces de théâtre que je n’ai jamais terminées…
 
Entre votre vie professionnelle, vos responsabilités familiales, comment trouvez-vous le temps d’écrire ?
Le temps d’écrire, quand cela vous tient, vous le trouvez forcément. Je crois avoir dignement assuré mes responsabilités de parent. Je suis professeur de Lettres modernes depuis 1969. Et j’ai été membre de la commission de Réforme de l’enseignement du français. En outre, j’ai participé à l’élaboration de manuels scolaires pour l’enseignement secondaire. J’ai ensuite été appelée au ministère de la Culture comme Directrice des Lettres et de la Propriété intellectuelle et du Centre d’Etudes des Civilisations.

J’ai été membre du Haut conseil de l’audiovisuel et de la Commission électorale nationale (CENA). Toutes ces responsabilités ne m’ont pas empêchée d’écrire.
Cependant, en 1987 j’ai créé le CAEC après avoir demandé ma retraite anticipée pour pouvoir me consacrer exclusivement à la littérature. Depuis lors mon activité principale est d’écrire, d’enseigner la littérature et de donner des conférences dans des universités à travers le monde.

Revenons, si vous voulez bien, à la structure de vos romans ; préparez-vous un plan et le respectez-vous ? Ou bien laissez-vous vos personnages vous guider ?
Par déformation professionnelle, je fais toujours un plan, même quand je me suis rendu compte le plus souvent que je ne peux pas le suivre parce que les personnages s’affirment. C’est finalement l’histoire, les personnages et les situations qui tirent le roman jusqu’à son aboutissement… Je garde longtemps mon manuscrit en moi, je l’habite et l’emporte partout dans mes voyages. Mon manuscrit fait partie intégrante de moi, et ce sont les personnages qui nourrissent le texte, jour après jour.
 
Vous faites souvent allusion à la mère. Elle est présente dans toute votre œuvre. Quelle influence a-t-elle exercée sur vous ?
Son influence est essentielle pas seulement dans mon œuvre mais dans ma manière de sentir le monde, de le penser. Elle était comme un océan de générosité, de beauté et d’humanité. Je dois ajouter qu’elle m’a influencée profondément dans ma manière de créer et de recréer tout autour d’elle une atmosphère d’entente, de convivialité et d’amour…
 
Existe-t-il dans vos livres des caractères de personnages, outre celui de votre mère, qui soient «calqués» parmi vos relations ?
Non. Je ne choisis pas des personnages réels. Je me soucie beaucoup plus du rôle d’un personnage dans mon texte, et de sa résistance à la corruption… Le projet maintient l’expression de ce que je veux dire de manière globale dans mon livre… Mes personnages, je les choisis en fonction de ce qu’ils doivent dévoiler dans leur vision du monde…
 
Vous êtes née à Saint-Louis, au mois d’avril 1941…
Je suis née et j’ai grandi à Saint-Louis, dans la partie Sud de l’île. J’ai fréquenté l’école primaire et le lycée Faidherbe. En 1958, ma mère m’a demandé de tenir compagnie à ma sœur Arame FALL qui devait rejoindre l’Université de Dakar. J’ai ainsi été transférée à Dakar, au lycée Van Vollenhoven (actuellement le lycée Lamine Gueye). Après la deuxième partie du Baccalauréat, je suis allée en France. A l’époque je voulais faire une école d’interprétariat et de lettres modernes.

J’étais loin d’imaginer qu’une école d’interprétariat était autre chose qu’une étude des langues… Il y avait un concours pour être admise à la rue Assas, que j’ai passé avec succès. J’ai opté finalement pour des études de lettres modernes à la Sorbonne… Je me suis mariée à Paris, au mois de mars. J’ai continué cependant mes études jusqu’à décrocher une licence d’enseignement de Lettres Modernes. Je suis rentrée à Dakar en octobre 1969. J’ai d’abord enseigné au lycée Abdoulaye Sadji de Rufisque. J’ai été ensuite affectée à Dakar, au lycée Delafosse. Puis au lycée Blaise Diagne…
 
Pendant «ces temps d’enseignement» au Sénégal, aviez-vous songé à écrire ?
Voyant autour de moi l’emprise de l’argent sur la société, je me suis dit : «Est-ce que quelqu’un qui a toutes les qualités morales ne mérite-t-il pas plus de considération ?» Et j’ai ainsi commencé à écrire, très rapidement, en deux ou trois mois, mon premier roman, LE REVENANT. En avril 1973, alors que j’étais à la maternité, mon mari a montré le manuscrit du Revenant au Professeur Madior Diouf qui était notre voisin. Il m’a proposé de le déposer aux NEA (Nouvelles éditions africaines) pour le soumettre au comité de lecture.

Le manuscrit a été refusé sous prétexte que le sujet était« local» et que «les lecteurs occidentaux risquaient de ne pas comprendre le roman »… Trois ans plus tard, en récupérant aux NEA mon manuscrit, j’ai rencontré, par hasard, Monsieur Mamadou Seck qui était le Directeur à l’époque…
Le manuscrit a été publié peu de temps après, en 1976. Depuis lors, plusieurs tirages se sont succédé, et le roman – traduit en plusieurs langues et enseigné dans les universités étrangères –, a été porté à l’écran…
 
Vous dites que «l’art est mensonge…»
Le réel se recrée. L’Art est mensonge, un mensonge immortel. L’artiste crée les conditions de faire passer son message sublime. Par exemple le style de l’écrivain, le coup de pinceau du peintre, le décor du metteur en scène, etc… Le public y adhère et est embarqué par ce mensonge qui l’éloigne des turpitudes de la vie réelle. L’écrivain se retrouve dans les filets de cette aventure, et subit la même emprise que les lecteurs ou les spectateurs…
 
La physionomie de vos personnages n’est jamais décrite dans vos romans… Y a-t-il une raison à cela ?
Mes personnages sont bien consistants, et c’est pour cela qu’ils reviennent (ainsi Bakar DIOP dans LE REVENANT), et nourrissent des études, des recherches et des commentaires…
Je ne suis pas physionomiste. Ce qui m’intéresse dans la physionomie d’une personne, ce n’est pas l’aspect physique mais ce qu’elle charrie en humanité, en chaleur humaine. A Saint-Louis, dans certaines familles (pas la nôtre), on interdisait aux enfants de dévisager les visiteurs.
 
Plusieurs de vos romans ont été traduits dans le monde entier : en arabe, chinois, russe, finnois, suédois, anglais, italien, allemand, swahili, norvégien, serbo-croate…voulez-vous évoquer pour nous l’émotion que vous procure la traduction en langue étrangère d’une de vos œuvres ?
Curieusement, ce qui m’émeut le plus lorsque cela arrive, c’est bien sûr l’émotion, mais surtout le bonheur de constater que j’ai eu raison de croire que nous sommes dans le même monde, la même humanité, partageant au fond de nous- mêmes ce lieu unique dont je parle souvent, le lieu où nos destins se croisent, là où nous ressentons les mêmes émotions, les mêmes sentiments et aussi le lieu de nos quêtes et de nos interrogations existentielles : Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?
 
Vous faites partie des auteurs les plus prestigieux du continent africain… Etait-ce pour vous un rêve de devenir écrivain ? Si vous devriez refaire votre vie, écririez-vous ?
Ce n’était pas un rêve qui s’est réalisé. J’avais envie d’écrire…J’aurais pu écrire dans d’autres domaines ; critique littéraire, des articles sur l’Art et la culture… Je me suis retrouvée dans la fiction romanesque.
Le thème central de mon œuvre c’est sur la dignité humaine, le respect, le partage, le «yermandé», et l’amour. Oui, je crois que j’écrirais. L’écriture m’a procurée tellement de bonheur, d’amitiés et de découvertes qui valent tout l’or du monde. C’est ce que j’appelle : «le rêve de beauté». Même si la société ne fonctionne plus comme celle que j’ai connue, je continuerai à écrire ce rêve qui est la beauté morale tant que Dieu m’en donnera les moyens.
 
Vous évoquez souvent le roman «Tristan et Yseult». Pourquoi n’avez-vous jamais songé d’écrire un roman d’amour ?
L’amour se manifeste dans la plupart de mes textes…Cependant je n’ai jamais pensé écrire un roman d’amour. Dans Tristan et Iseult, ce qui m’a fascinée, c’est la loi implacable du destin, la beauté du texte, la tragédie…
 
Quelle place occupe la femme dans votre œuvre romanesque ?
Celle que j’ai apprise à respecter dans ma société. Les femmes sont « fortes » mais elles ont l’intelligence d’orienter cette force vers ce qui peut sauvegarder la cohésion de la famille et de la société pour maintenir les liens sacrés. L’homme est pressé, il a été formaté par la société pour être un gagnant. Il doit vaincre l’adversité, maitriser la nature, détruire et construire. Bref, imposer sa Loi.
En revanche la femme adhère à l’environnement et respire les souffles du monde, elle crée l’harmonie et la beauté autour d’elle. Elle a inventé l’esthétique sur sa personne et dans son intimité. Par son intuition miraculeuse elle pénètre les secrets de l’univers : « Goor bakhna, djïguène bakhna ».
 
Quel genre de relation entretenez-vous avec les autres écrivains du monde entier ? Vous sentez-vous faire partie d’une mosaïque universelle ?
Ce sont mes lecteurs qui m’y ont installée… Je me sens en communion à voir l’amitié et l’affection que les autres écrivains me témoignent. Nous nous respectons dans nos idéaux et dans notre manière d’exprimer chacun sa vision du monde. Je ne me suis jamais demandé si je suis dans une mosaïque universelle. Je bénéficie de beaucoup de respect dans le monde de la part de mes confrères…
 
Comment votre entourage perçoit-il une femme écrivain issue de son milieu ?
Je n’ai jamais reçu de commentaires de mes proches sur ma qualité d’écrivain. Ils se sentent fiers de moi. Il y a un proverbe wolof qui dit: «Doff dou rouss, Mbocky gnoye rousse». (Celui qui transgresse les valeurs de la société, celui-là sème la désolation chez ses proches).
 
Certains de vos romans, pour ne citer que  la grève des battu, ont été portés à l’écran… l’écriture de votre dernier livre l’empire du mensonge  est d’ailleurs très cinématographique…
La scénariste de La grève des battu s’appelle Jocelyn Barnes et vit à New York, aux USA. C’est elle qui a fait les démarches auprès du cinéaste malien Cheikh Oumar Cissokho et du prestigieux acteur américain Danny Glover.
Je n’ai pas été influencée par les cinéastes ou les metteurs en scène dans les interprétations dramatiques. Tous ont relevé que le découpage de mes textes leur a facilité leur tâche. Quand j’ai vu le film tiré de mon roman  La grève des Battu au cinéma, à Paris, j’ai pleuré. La scène de l’enterrement de Gorgui Diop m’a émue alors que je n’avais jamais pleuré sur mes textes. Parfois aussi, en relisant mes romans il m’est arrivé de ressentir la même émotion…
 
Vous utilisez très souvent dans vos romans des expressions, des mots, des proverbes en ouolof. Est-ce un choix ?
Non, ce n’est pas un choix ; si c’était un choix cela aurait été artificiel. Le ressenti de l’écrivain doit pouvoir se manifester de la manière la plus vraie dans ses textes. Quand j’écris et que je me sens dans l’obligation de faire passer mon « ressenti » et que la langue française que j’utilise ne s’y prête pas, alors je n’hésite pas à utiliser des mots ou des expressions wolofs. Je ne fais pas du tout de l’exotisme. Je sacrifie à l’obligation d’écrire vrai. Pour moi c’est une obligation d’ordre littéraire. C’est courant, mondial, on sait que toute langue que l’écrivain utilise est trop étroite pour exprimer ses sentiments. C’est ainsi que naissent les néologismes.

Je n’ai pas utilisé la langue wolof parce que je n’ai pas appris à écrire le wolof qui dans notre société est une langue orale. Je n’ai pas étudié la logique de création, comme dans le français, il faut réinventer toujours…

Il s’y ajoute que quand j’ai commencé à écrire, la langue wolof n’était pas codifiée. Avec la langue wolof j’aurais été confrontée aux mêmes problèmes. Je ne pourrais exprimer au niveau de la grammaire ni du vocabulaire, toutes les émotions. J’aurais eu d’énormes difficultés du fait que l’on ne parle pas un wolof unique comme on ne parle pas un français unique.

Les écrivains du terroir le savent. L’écrivain transgresse sa propre langue. Quand j’ai écrit la grève des battu beaucoup m’ont reproché de dire «battu» au lieu de «wattu» qui, pour eux, est le pluriel de «battu».
Ce qui n’est pas le cas dans notre langage à Saint-Louis. La langue est culturelle, selon les régions, elle est différente en fonction des pratiques langagières, selon les localités.
 
Vos romans sont-ils traduits en wolof ?
Oui, mais personne ne les a encore édités…
 
Aujourd’hui, la langue française est plus ou moins maltraitée…on n’écrit plus français. ne craignez-vous pas que cette nouvelle forme de langage oral, écrit, « codé »,« audio-visuel», ne devienne un handicap pour la préservation de la langue française ?
Je pense que c’est l’influence de l’informatique, de l’audio-visuel. C’est dans l’air du temps. La vitesse. La modernité. Les gens sont pressés et courent dans tous les sens. Cet empressement réduit le temps des expressions, menace la langue française dans son essence, qui est beauté, dignité, cohérence, poésie. Entretenir la parole entre deux personnes installe un climat de confiance et de sympathie.

J’ai rencontré en Bretagne une dame qui a habité à Ouakam, pas loin de chez moi, et a soulevé le problème : chez nous, au Sénégal, on entretient le langage, la communication c’est de l’humanité.
Cette dame était choquée pendant son séjour quand des voisins sénégalais lui demandaient où elle allait, d’où elle venait. Elle pensait que c’était une curiosité malsaine. «Mais non, c’était tout différent, ces gens-là cherchaient à me protéger », avait-elle ajouté avec un grand sourire.

Cette cassure où l’humain n’a plus sa place, porte atteinte à la langue, et dénature les relations entre les humains. «Niit,niit moygarabam» (L’homme est le remède de son prochain).
 
Parlez-nous de l’excision au Sénégal…
J’ai rencontré certaines jeunes filles qui étaient fières d’avoir été excisées, cela leur confère une sorte de dignité. L’excision au Sénégal n’est pas négative pour la majorité de ceux qui la subissent; c’est une coutume, une fête.
Elle n’est pas liée à l’islam, c’est un phénomène ancré à la culture. Personnellement, je pense qu’il est plus indiqué d’éduquer sur le thème que de jeter l’anathème sur ceux qui la pratiquent pour des raisons culturelles.
 
Revenons à votre écriture… est-ce que vous réécrivez vos textes ?
Oui, je le revisite, je le réécris sans cesse pour la cohérence du texte. La catastrophe pour moi c’est de perdre une page de fiction du manuscrit que je suis en train d’écrire…
 
Dans vos livres on ne retrouve pas de critiques de la présence des communautés étrangères au Sénégal, quand les étrangers sont indexés un peu partout ailleurs dans le monde…
La culture est essentielle. La culture au Sénégal est une culture de partage, de tolérance de l’autre. On accepte les gens tels qu’ils sont tant qu’ils ne bouleversent pas notre vision du monde. Les étrangers que j’ai fréquentés dans mon enfance, je ne les critique pas, ils sont comme nous, à force de nous fréquenter on a eu des affinités très fortes, il y a eu des métissages… Les étrangers qui sont avec nous, sont parmi nous. Nous faisons partie de la même communauté malgré nos différences. Ni la race ni la couleur de peau ne sont des barrières ou un handicap. Le rejet de l’autre ne fait pas partie de nos valeurs.

Propos recueillis par NABIL HAIDAR

 

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