Affaire Khalifa Sall : "Une conspiration d’Etat avec un habillage judiciaire"

TRIBUNE LIBRE
Dimanche 19 Mars 2017

En mars 2012, le Sénégal a réalisé la seconde alternance démocratique de son histoire avec la victoire de Macky Sall soutenu par la coalition «Bennoo Bokk Yaakaar». Dans la suite de cette élection présidentielle, cette coalition, composée de plus d’une centaine de partis dont le Parti socialiste du Sénégal, parti dans lequel Khalifa Ababacar Sall, Maire de la Ville de Dakar, occupe les fonctions de Secrétaire national à la Vie politique, a largement remporté les élections législatives de juillet 2012.


Khalifa Sall, maire de Dakar
De 2012 à 2014, la coalition «Bennoo Bokk Yaakaar» a fonctionné tant bien que mal. Mais la logique d’appareil s’est heurtée à la volonté des responsables et militants de base lors des élections locales de juillet 2014. En effet, lors de ces élections, des fissures ont été enregistrées dans la majorité présidentielle avec des partis qui ont refusé de s’aligner sur la volonté hégémonique du parti du Président de la République, l’Alliance Pour la République, qui a voulu diriger toutes les listes au niveau local.
 
A Dakar, Khalifa Sall, Maire sortant, a conduit avec ses camarades et d’autres partis une liste portée par une nouvelle coalition dénommée «Taxawou Dakar» qui a remporté quinze des dix neuf communes de la ville.
 
Cet acte et surtout le plébiscite des populations pour Khalifa Sall ont été considérés par le Président de la République, ses partisans et ses alliés comme une défiance. A partir de 2014, le pouvoir a posé des actes pour entraver le travail du maire : blocage de l’emprunt obligataire par le Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan malgré le visa du Conseil de Régulation de l’Epargne Publics et des Marchés Financiers de l’UEMOA, retrait de la gestion des déchets solides urbains pour la confier à une structure gouvernementale, l’injonction faite aux banques de refuser de financer les projets de la ville, blocage du projet d’aménagement de la Place de l’Indépendance.
 
Parallèlement, le Parti socialiste du Sénégal était traversé par un débat sur les perspectives électorales et la stratégie d’alliance, débat que le Secrétaire général du Parti Ousmane Tanor Dieng a longtemps différé et qui a abouti à une crise entre la direction et les militants. Khalifa Sall et certains responsables du parti qui avaient souhaité que ce débat soit engagé au Comité central, organe délibérant entre deux congrès, ont finalement décidé de présenter leur propre liste aux élections législatives. Cette décision a été prise pour s’opposer au centralisme démocratique de la direction pour imposer aux militants une alliance avec le parti du Président de la République aux élections législatives de juillet 2017.
 
Sur la détention de Khalifa Sall, plusieurs éléments de faits sont de nature à fonder l’interférence de la politique dans le traitement de ce dossier.
 
D’abord, depuis l’accession du Président Macky Sall au pouvoir, des rapports de l’Inspection générale d’Etat (IGE), de la Cour des Comptes, de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP) et de l’Office nationale de Lutte contre la Corruption (Ofnac) incriminant des membres du parti au pouvoir ont été remis au Président de la République sans aucune suite judiciaire malgré les recommandations de ces organes. Alors que dans le cas du Maire de la Ville de Dakar, le rapport de la mission de vérification administrative et financière de la Ville de Dakar a été transmis par le Président de la République au Procureur de la République moins de deux mois après qu’il soit définitif.
 
Ensuite, il y a une instrumentalisation de la justice à des fins politiques qui apparaît dans le refus du Procureur de la République d’ouvrir une information judiciaire sur les conditions de création et de fonctionnement de la caisse d’avance et l’utilisation faite des crédits exécutés à travers cette caisse conformément aux recommandations de l’Inspection générale d’Etat (IGE). Or, le Procureur ne s’est jamais intéressé aux conditions de création et de fonctionnement de la caisse d’avance et a orienté toute son enquête sur l’utilisation des fonds de la caisse d’avance.

Si comme l’ordonne une enquête impartiale, le Procureur s’était intéressé aux conditions de création de la caisse d’avance, à son histoire, aux motivations et aux objectifs de la création de la Caisse par les plus hautes autorités de l’Etat, il aurait pu trouver le lien évident entre les conditions de création de la caisse d’avance et l’utilisation des fonds. C’est cet exercice essentiel pour la manifestation de la vérité que le Procureur a contourné en refusant de mener une enquête sur les conditions de création et de fonctionnement de la caisse d’avance alors que c’était l’une des recommandations de l’Inspection générale d’Etat.
 
L’instrumentalisation de la justice à des fins politiques apparaît également dans la façon dont l’enquête préliminaire s’est déroulée au mépris des principes d’une bonne administration de la justice et des règles élémentaires qui gouvernent la procédure. Elle a été conduite uniquement à charge sans respecter une seule fois la présomption d’innocence qui constitue un droit inaliénable dans toute procédure pénale. Elle a été menée en violation de l’article 5 de la Directive de l’UEMOA qui donne droit à toute personne de se faire assister par ses avocats au stade de l’enquête préliminaire et devant le Procureur. Cette procédure a été conduite en violation du secret de l’enquête par le Procureur qui a immédiatement communiqué les procès verbaux de police à certains organes de presse pour alimenter le matraquage médiatique du maire et tenter de ternir son image dans l’opinion.
 
 
Enfin, le timing et le choix de la période procèdent d’un calcul. Cette affaire est agitée à quelques mois des élections législatives après que le maire a annoncé son intention de présenter avec ses camarades, ses sympathisants, ses amis et ses soutiens une liste aux élections législatives. Il y a une coïncidence troublante entre cette affaire et la décision de Khalifa Sall de présenter une liste aux élections législatives face à celle de la coalition au pouvoir. Il s’agit d’une tentative de déstabilisation pour nous empêcher de poursuivre nos tournées à l’intérieur du pays ou pour nous intimider afin de décourager nos partisans.  
 
En définitive, le seul tort de Khalifa Sall, c’est d’avoir des ambitions pour son pays, c’est d’avoir annoncé son intention de présenter une liste aux prochaines élections législatives contre la liste de la coalition présidentielle. La procédure judiciaire en cours est un prétexte pour mettre en place un complot dont le but avoué est de réduire au silence un potentiel adversaire à la présidentielle.
 
Les accusations portées contre Khalifa Sall, cousues de fil en blanc par le pouvoir de Macky Sall, servent une sordide tentative de liquidation politique d’un adversaire en relation avec les prochaines échéances électorales. Mais cet assassinat politique ne vise pas seulement Khalifa Sall. Il vise notre démocratie car Macky Sall poursuit son entreprise funeste de musellement du choix des électeurs et de la liberté de suffrage. Il veut museler la voix des millions de Sénégalais qui sont décidés à en finir avec son régime et à ouvrir la voie d’un véritable changement. Macky Sall veut que le seul choix qui soit donné au peuple sénégalais soit celui de la perpétuation de la dynastie «Faye Sall» soutenus par des obligés qui, parce qu’ils n’ont plus d’ambition pour notre pays et parce qu’ils n’ont plus d’énergie, lui ont fait allégeance et vendu leur âme au diable depuis longtemps.

Cette affaire est une conspiration d’Etat avec un habillage judiciaire marqué par un acharnement sans précédent connu, par le choix de ce calendrier. Il s’agit d’une opération destinée à détourner l’attention de nos concitoyens des véritables enjeux des prochaines échéances électorales. Son but est de priver les Sénégalaises et les Sénégalais de leur droit à s’affranchir du système actuel et de construire une alternative à travers un véritable programme de rupture et de transformations institutionnelles, politiques, économiques et sociales, un programme porteur du changement qu’ils attendent depuis si longtemps.

Elle correspond à une tentative désespérée d’organiser une élection avec un candidat sortant, candidat du parti au pouvoir et de sa coalition face à des candidats que le président de la République aura choisi en faisant son marché dans la classe politique et après avoir éliminé par des procédés déloyaux ses plus sérieux concurrents. C’est une manœuvre du pouvoir en place qui veut amener les opposants, un pas après l’autre, dans la voie du renoncement et de l’abdication.
 
Un militant de la justice et de la vérité