Bilan du septennat du Président Macky Sall : Entre reniements, investissements peu rentables et fracture politique

POLITIQUE
Lundi 31 Décembre 2018

Les fins d’année sont propices aux bilans et aux prophéties sur l’année à venir. Mais pour le cas du Président Macky Sall dont le premier mandat à arrive à terme, cette fin d’année sera plus consacrée à dresser le bilan de son septennat plutôt que de s’engager à formuler des promesses pour les cinq ans à venir. Certes après avoir dressé son bilan septennal, le chef de l’Etat s’évertuera à promettre aux Sénégalais et Sénégalaises le meilleur. Histoire de remporter l’adhésion de plusieurs de ses compatriotes qui devront au soir du 24 février 2019 lui assurer sa réélection. Mais peut-il promettre un Sénégal mirifique quand depuis 2012, les annus horribilis se suivent et se ressemblent ? En sept ans, les ruptures et solutions attendues des Sénégalais n’ont pas été au rendez-vous. Le manque de transparence dans la gestion des ressources publiques, la dilapidation, les détournements et l’impunité politique et judiciaire du président de la République, la confusion permanente des pouvoirs, la gestion ethnique et familiale ont caractérisé la gouvernance du Président Sall. A cela s’ajoute manipulation de la justice et de l’Assemblée nationale par l'exécutif. Retour sur un septennat qui n’aura pas été un long fleuve tranquille pour les Sénégalais.


Lors de son premier message à la nation, le 03 avril 2012, Macky Sall, nouvellement élu président de la République du Sénégal faisait cette déclaration de rupture qui entrait en droite ligne avec les demandes du peuple : «Au Gouvernement, je donne mission de traduire en actes la forte aspiration au changement massivement exprimée le 25 mars. Cette occasion historique constitue pour nous tous, un nouveau départ pour une nouvelle ère de ruptures en profondeur dans la manière de gérer l’Etat au plan institutionnel et économique… C’est pourquoi, je tiens à ce que toutes les femmes et tous les hommes qui m’accompagnent dans l’exécution du contrat de confiance qui me lie au peuple, comprennent et acceptent que cette mission ne crée pas une catégorie de citoyens privilégiés, au-dessus des autres et de la loi. Gouverner autrement, c’est bannir les passe-droits, le favoritisme et le trafic d’influence ; c’est mettre l’intérêt public au-dessus de toute autre considération et traiter tous les citoyens avec la même dignité et le même respect… Je mets à ma charge l’obligation de dresser les comptes de la Nation et d’éclairer l’opinion sur l’état des lieux. A tous ceux qui assument une part de responsabilité dans la gestion des deniers public, je tiens à préciser que je ne protègerai personne. Je dis bien personne ! J’engage fermement le gouvernement à ne point déroger à cette règle ».
Tous les Sénégalais avaient adhéré à ce discours révolutionnaire qui rompait avec la politique wadienne faite de gabegie, de dilapidation des ressources du pays, d’impunité, de favoritisme, de patrimonialisation du pouvoir, de corruption outrancière et d’enrichissement illicite. D’ailleurs la réactivation de la Cour de l’enrichissement illicite (CREI) par le décret n° 2012-502 du 10 mai 2012 corroborait cette volonté du nouveau Président de punir les dilapidateurs des deniers publics.

Une justice aux ordres de l’exécutif
Mais judiciairement, la politique de Macky Sall aura été un échec total. Pourtant dans son programme de campagne en 2012, le candidat de Macky 2012 promettait une justice indépendante et libre. Mais sous son règne, on est tombé de Charybde en Scylla. La justice aura servi d’instrument pour neutraliser voire éliminer des adversaires politiques du Président. Les deux cas politico-judiciaires qui ont entaché le règne de Macky, ce sont ceux de Karim Wade et de Khalifa Sall. De la liste des 25 dignitaires libéraux présentée au procureur général en mai 2012, seul Karim Wade a été traduit en justice et condamné. Des 24 autres, certains comme Ousmane Ngom, Abdoulaye Baldé, Farba Senghor ont rallié le camp de Macky pour une immunité judiciaire. L’ex-maire de Dakar a été accusé dans l’histoire de la caisse d’avance avant d’être condamné à cinq de réclusion assortie d’une amende de 1,8 milliard de francs CFA.

Aujourd’hui toute une manœuvre politique a été orchestrée depuis 2012 par les ministres de l’Intérieur et les Gardes des Sceaux de Macky Sall pour emprisonner et écarter Karim et Khalifa de la Présidentielle de 2019. Certes ces derniers ont franchi l’étape du parrainage mais il ne faut pas verser dans l’utopie. Le réalisme politique du Président Sall commande à ce que ces deux candidats soient éliminés de la course présidentielle. La Cour suprême sans état d’âme va finir, ce 3 janvier, le travail commandité par la présidence de la République et exécuté par toute une chaine judiciaire soumise à l’Exécutif. La Cour d’appel et elle ne laissera aucune possibilité à un rabat d’arrêt même si la loi permet aux conseils de Khalifa Sall d’y recourir. Quant au candidat du PDS, Ali Ngouille Ndiaye s’est substitué à la Cour d’appel pour l’exclure des listes électorales. Malgré les recours des avocats de Karim devant la Cour de justice de la Cedeao, il est indubitable que le pouvoir de Macky Sall ne démordra pas pour écarter définitivement Karim Wade.

Politiquement, le bilan de Macky Sall a été marqué par une dégradation du climat politique entre acteurs. Macky Sall est un président qui divise, clive et ne rassemble pas. Jamais il n’y a eu de consensus entre pouvoir et opposition sur des problèmes politiques. Toutes les élections post-présidentielles ont été organisées dans le parfait dissensus. Jamais le pouvoir n’a daigné associer l’opposition aux changements des règles qui déterminent le jeu électoral. Le référendum s’est fait dans la division mais ce sont les législatives qui auront scellé le divorce entre pouvoir et opposition.

La production des nouvelles cartes Cedeao, les nouvelles inscriptions sur les listes électorales, l’élaboration d’un fichier, la privation de vote de presque un million de citoyens à cause de cartes non produites ou d’un déplacement de plusieurs citoyens dans un nouveau centre de vote sans être informés, la décision du Conseil constitutionnel de voter avec des récépissés ont jeté le discrédit sur ces élections législatives. Au sortir de ces législatives, sous prétexte qu’il a y eu une flopée de liste qui ont rendu difficiles les opérations électorales, le pouvoir a imposé une loi de parrainage qui aujourd’hui constitue une arme aux mains des sages pour limiter les candidatures. Cette loi qui a fait l’objet de contestations vives de la part des opposants et de la société civile a été votée le 19 avril sans débat et dans la plus grande division à l’Assemblée nationale. Tout le monde voit en cette loi une nouvelle manœuvre du pouvoir pour éliminer des candidats qui ont échappé à la nasse judiciaire.

Et l’objectif, selon le Front de résistance national de l’opposition, le pouvoir veut limiter les candidatures et légitimer une fraude qui permettrait à Macky de rempiler dès le premier tour. Aujourd’hui plusieurs candidats et non des moindres ont été recalés dans un premier temps dans le processus de validation des parrainages. Il ajouter à l’échec politique du Président Sall, le non-respect de la parole donnée. La promesse de réduire le mandat présidentiel à cinq ans claironnée partout n’a pas été respectée. La transhumance flétrie comme un cancer politique par le candidat de Macky 2012 est devenue chez l’actuel Président une vertu politique. Par conséquent, le bilan immatériel est une véritable catastrophe. Pourtant si Abdoulaye Wade a été dégagé en 2012, c’est à cause du piétinement des valeurs qui fondent le socle de la République

Des investissements peu rentables
Economiquement, la croissance a été au rendez-vous. De 1.7 en 2011, elle a atteint la barre des 7.2. Ce qui doit témoigner d’une santé de l’économie sénégalaise. Mais ce chiffre élogieux de la croissance masque en réalité les difficultés économiques auxquelles sont confrontées les populations sénégalaises. La pauvreté a fini par gagner le Sénégal comme l’indique son IDH de 2018. Au classement des pays les plus riches du monde, le Sénégal, sur 189 pays du monde, la 164e place et 31e à l’échelle africaine sur 53 pays. En 2011, la place du Sénégal était à la 155e place. Ce qui veut dire que le Sénégal n’a bougé que 9 places. Le chômage de masse s’est accru. Ce qui montre que cette croissance non endogène portée par le secteur tertiaire par les multinationales étrangères ne crée pas beaucoup d’emplois. En effet le secteur tertiaire contribue à 60% du PIB et emploie près de 28% de la population active. Alors que le secteur primaire emploie plus de 50% de la population active et contribue à 17,5% du PIB et que le secteur secondaire contribue à plus de 20% du PIB en employant 23% de la population active.

Aujourd’hui 54% de la population vivent dans la pauvreté. L’économie sénégalaise ne vit que de dette, de 2704,2 milliards de francs CFA en 2011, la dette a atteint 6564,2 milliards de francs CFA à fin 2018. L’endettement n’est pas mauvais si les ressources sont bien investies. Mais tel n’est pas le cas au Sénégal. Aujourd’hui malgré les chantiers du Président, l’économie sénégalaise ne se porte pas mieux. De gros investissements sont consacrés dans des projets peu rentables. L’autoroute Ila Touba longue de 113 km inaugurée a couté la bagatelle 416 milliards. La Chine, bailleresse, a construit l’autoroute avec ses propres employés et ses propres matériels importés de la Chine. Le TER avec ses 1200 milliards de coût s’inscrit dans cette même logique. Déjà le prix fixé (1500 fr) entre Diameniadio et Dakar pose problème sur une distance qui ne coute pas aux banlieusards 500 fr. D’autres infrastructures ont été financées et construites par les Turcs et les Marocains sur le même modèle chinois au détriment du secteur privé sénégalais. Des structures de financements comme le Fongip, le Fonsis, la Der, la BNDE ne sont que des établissements mis en place pour courtiser une clientèle politique. Aujourd’hui elles ont montré leurs limites par rapport à la lutte contre le chômage de masse.

Un front social en ébullition
Si économiquement, le Sénégal rencontre des difficultés, socialement les conséquences se feront sentir. L’année 2018 décrétée année sociale montre le degré de pauvreté dans laquelle vivent plusieurs ménages sénégalais. Si l’enveloppe de la bourse familiale a augmenté cette année, c’est parce que le taux de pauvreté a progressé certaines zones rurales et même urbaines. Pourtant l’objectif premier des bourses familiales, tel que défini par son concepteur l’ex-Président brésilien Lula Da Sylva, c’est de réduire la pauvreté dans les ménages vulnérables. Le front social depuis 2012 ne s’est pas refroidi. Il est vrai qu’en 2018, on a noté une accalmie dans le secteur éducatif et une partie de la Santé notamment. C’est après 18 plans d’action, que le syndicat And Guesseum de la santé vient de suspendre son mot d’ordre après l’appel du Président Sall qui a promis des négociations.

Maintenant il appartient au président de la République, Macky Sall, de dire si contrat signé avec le peuple sénégalais au soir du 25 mars 2012 a été respecté ou non au terme de son septennat. Quand on est candidat, on fait des promesses pour convaincre les électeurs. Ces promesses sont des engagements qui font appel à la confiance des citoyens sur une durée déterminée. A la fin du mandat, la récompense du peuple à l’endroit du Président est le renouvellement de cette confiance et la seule sanction est la non-réélection.