Birahime Seck : «Le détournement, le vol et la corruption peuvent pousser les jeunes à rejoindre les groupes terroristes»

TRIBUNE LIBRE
Samedi 25 Février 2017

L'information sur la forme de terrorisme contre lequel nous nous battons ne doit nullement prendre le dessus sur le terrorisme systémique que subissent nos deniers publics et nos ressources naturelles.


Par Birahime SECK

L'arrestation par la police nationale de deux présumés djihadistes peut être vue comme une preuve supplémentaire du dynamisme et du professionnalisme de la «communauté de renseignements mis en place par le Sénégal» pour prévenir tout acte de terrorisme dans notre pays. Il s'agit-là d'un résultat réconfortant et rassurant, qui est en total déphasage avec le sentiment d'inquiétude ambiant qui a prévalu suite aux propos tenus tout récemment par la hiérarchie de cette même police nationale sur l'insécurité. 
Cependant, la publication du communiqué de la police nationale du 23 février 2017 relatif à l'arrestation de deux présumés djihadistes maliens à Dakar, dans un contexte de «poursuite de reddition des comptes», soulève quelques interrogations. La question du terrorisme est souvent considérée comme un sujet tabou, même si le président de la République lui-même avait appelé à plus de vigilance et avait dans le même ordre, demandé de signaler toute personne suspecte ou ayant un comportement douteux. Une conférence sur le sujet a été organisée par le ministère chargé des Affaires étrangères. 

Malgré cela, nous avons constaté que l'Etat du Sénégal a toujours été avare en information sur des affaires relatives au terrorisme. Un comportement compréhensible dans une moindre mesure, car il s'agit de questions stratégiques qui demandent beaucoup de discrétion. Cette réticence du gouvernement à partager l'information avec les citoyens, s'est manifestée de manière très forte quand les autorités avaient décidé de transférer au Sénégal deux ex-détenus de Guantanamo. Les Sénégalais s'étaient posé des questions sur la contrepartie américaine de ce transfert. Ils n'avaient récolté comme réponse que des sorties triangulaires et vagues données par les ministres chargés de la Justice, de l'Intérieur et celui des Affaires étrangères, quand Barack Obama lui-même déclarait que la prison de Guantanamo est néfaste pour la «sécurité nationale» des Etats Unis et contraire aux valeurs de l'Amérique (lemonde.fr du 23 février 2016). 

Est-ce à dire que les profils des sieurs Ould Sidi Mouhamed Sina et Ould Ame Sidalamine, présumés djihadistes arrêtés dans notre pays sont moins inquiétants que les deux ex-détenus de Guantanamo pour figurer sur le communiqué de la police nationale citée plus haut ? 

L'information sur la forme de terrorisme contre lequel nous nous battons ne doit nullement prendre le dessus sur le terrorisme systémique que subissent nos deniers publics et nos ressources naturelles. 
Qu'on ne perde pas de vue que l'argent volé, détourné, issu de la corruption, du trafic d'influence, de la prise illégale d'intérêt... est celui qui est blanchi pour financer le terrorisme qu'on veut prévenir et éradiquer. Qu'on ne perde pas de vue aussi, que le détournement, le vol, la corruption créent de la frustration, installent la pauvreté et peuvent pousser les jeunes à rejoindre les groupes terroristes que les Etats combattent. Alors, que la reddition des comptes se poursuive dans l'équité, l'éthique et la justice. 

C'est pourquoi (...) il ne faut pas «brûler les rapports de l'Inspection générale d'Etat». La transmission des rapports de l'IGE et ceux des autres corps de contrôle doit se poursuivre pour quatre raisons. D'abord, par respect aux parlementaires, qui en 2011 ont pris une loi, au nom du Peuple pour renforcer les pouvoirs opérationnels et stratégiques de l'IGE, suite aux réformes de 2005 et de 2007. Deuxièmement, par respect au citoyen sénégalais qui a financé la conception et la production de ces rapports par ses impôts. Troisièmement, par respect aux Inspecteurs généraux d'Etat, qui ont dépensé beaucoup d'énergie, de temps et ont fait montre de compétence (même si c'est leur travail) à produire ces rapports.

En fin de compte, par le fait que le président de la République, Macky Sall, avait promis le 3 avril 2012 de mettre à sa charge «l'obligation de dresser les comptes de la Nation et d'éclairer l'opinion sur l'état des lieux». Donc au lieu de «brûler les rapports de l'IGE» que le président de la République respecte sa parole et ne protège personne. C'est pourquoi cette information des deux présumés terroristes appréhendés ne doit nullement étouffer cette histoire de la caisse d'avance de la mairie de Dakar. C'est une occasion de mettre en relief les autres rapports d'audit, d'investigation, d'inspection et d'enquête de l'IGE, de la Cour des Comptes, de l'Ofnac ... ainsi que les fonds alloués à certaines autorités du pays, du président de la République, du Premier ministre, des présidents de l'Assemblée nationale, du Conseil économique, social et environnemental, du HCCT, de la Cour suprême, du Conseil constitutionnel et d'autres personnalités et structures.