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Ces nouvelles voix des Sénégalais ou le rejet citoyen des politiques

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Jeudi 5 Décembre 2019

Ces nouvelles voix des Sénégalais ou le rejet citoyen des politiques
Par Pape Sadio Thiam

Par la sagacité de leur engagement, des hommes comme Guy Marius Sagna, cette race d’empêcheurs de tourner en rond perturbe le sommeil des gouvernants et réduit de plus en plus leur marge de manœuvre. Le pouvoir n’est pas dans la rue, ni même dans les réseaux sociaux, mais il ne peut plus être une affaire d’élite qui décide souverainement sans prendre en compte l’avis qui se forme à partir de l’espace public animé surtout par les activistes. La nature ayant horreur du vide, la faillite des partis politiques a consacré la naissance d’une pluralité de voix traçant chacune sa propre voie en dehors ses sentiers sinueux et souvent sans issue de la politique. Société civile, lanceurs d’alerte, activistes, journalistes d’investigations, etc. fourmillent de partout pour occuper le champ politique avec un discours nouveau.


Affranchis de cette corvée millénaire qui pèse sur l’homme politique de devoir toujours proposer des politiques alternatives à celles qu’on critique, les nouvelles voix de notre espace public comme Guy Marius SagnaDaawuda Géy, Adja Samyr Seck, Daouda Togola, Abdou Karim Gueye dit Xrum Xax, Abdoulaye Seck etc. investissent le rôle de contre-pouvoir. On ne promet rien au peuple, on cherche plutôt à l’éveiller et à lui désigner l’origine et la cause de ses malheurs. Cette posture est d’autant plus crédible qu’elle n’exclut pas de dire au peuple sa part de responsabilité dans la situation du pays. Alors que l’homme politique juge et prend position généralement par démagogie, les nouveaux acteurs politique prétendent parler au nom de la vérité et des intérêts du peuple. Si le premier levier d’un parti politique c’est l’intérêt à gouverner, celui des nouvelles voix est par contre le désintérêt apparent par rapport au pouvoir politique.

Si partout dans le monde les États font face à une sorte de rejet citoyen, c’est parce qu’ordinairement les partis politiques et les syndicats qui servaient de réceptacles aux mouvements d’humeur et aux revendications populaires n’ont plus la légitimité qu’ils avaient auparavant. Il y a un désenchantement universel qui rend de plus en plus aléatoire la foi en l’homme politique. Minés par des crises internes, disqualifiés par les populations, freinés dans leur ambition par la mort des idéologies, les partis politiques sénégalais sont en perte de vitesse et peinent aujourd’hui à mobiliser.
L’impasse dans laquelle ils se trouvent est tellement profonde qu’ils sont obligés de payer pour mobiliser dans leurs différentes manifestations. Les leaders sont tellement lynchés qu’il y en a qui hésitent à prendre la parole et à s’exprimer sur les sujets d’actualité. Les rideaux qui entretenaient le mystère de la scène politique sont tirés et l’homme politique est exposé à une évaluation quotidienne que sa nature humaine ne peut évidemment pas supporter. Est-ce à dire que les partis politiques ont perdu leur légitimité ? Ségolène Royal a dit que le peuple s'intéresse à la politique quand la politique s'intéresse à lui. Symétriquement on pourrait s’inspirer de sa formule pour dire que le peuple se désintéresse de la politique lorsque celle-ci se désintéresse des véritables préoccupations du peuple.

Les partis sont de plus en plus perçus comme des bureaucraties politiques davantage tournées vers la satisfaction des intérêts de quelques groupuscules vers la prise en charge réelle de la demande sociale. Peu importe que cela soit vrai ou faux, la perception déborde les catégories logiques du vrai et du faux : elle enveloppe son objet et lui donne un sens totalement arbitraire, mais très souvent fonctionnel. Note façon de percevoir la réalité détermine les choix que nous faisons dans la vie : voilà pourquoi la meilleure façon d’être maître des hommes, c’est d’être maître de leurs perceptions. Or la façon dont la politique est perçue dans notre pays est tout sauf noble : le désenchantement est tel que la seule alternative était de se tourner vers d’autres idoles. La démocratie sénégalaise est-elle en train de vivre une mutation dans laquelle une nouvelle façon de faire la politique éclipse les partis politiques traditionnels ?
La désaffection du peuple vis-à-vis des politiques a facilité la percée des lanceurs d’alerte dont le discours semble non seulement moins partisan, mais aussi plus cohérent et davantage motivé par des faits. Le discours politique est de plus en plus inaudible, ce qui empêche les citoyens de se faire une idée précise de l’offre et de la critique des différents protagonistes. Comme dit Platon, « l'un des préjudices d'avoir refusé de prendre part à la vie politique est que vous finissez par être gouverné par vos subordonnés. ».
C’est sans doute ce que les intellectuels, les lanceurs d’alerte, brefs les nouvelles voix de l’espace politique sénégalais ont compris que les partis politiques et les syndicats, même dans les cas où ils ne participent pas à l’exercice du pouvoir, apparaissent aux yeux du peuple comme largement comptables de la situation du pays.

Et comme la seule source de légitimité reste le peuple, ils ont entrepris la déconstruction méthodique des idoles politiques et de leurs structures. Cette déconstruction fut d’abord sémantique : il s’est agi de travailler un vocabulaire péjoratif pour penser et qualifier la politique. Dans le langage populaire on a instillé des termes très négatifs pour désigner la façon dont la politique est faite : la distinction entre homme politique et politicien ne repose sur aucune rigueur scientifique, mais elle est fonctionnelle surtout sur le plan émotionnel. Il est en de même pour le concept de « doorkat » en wolof : dès qu’un homme politique parle, on lui renvoie l’image d’un entrepreneur qui chercher à se faire connaître pour marchander des strapontins. Faire de la politique n’est plus une affaire d’élite, il n’aurait jamais dû l’être d’ailleurs, car la communication qui est le premier levier de la politique est a priori accessible à tous.

C’est vrai que l’homme politique lui-même peut et doit être un lanceur d’alerte dans la mesure où il a pour vocation, dans une démocratie, de critiquer l’action du gouvernement et de faire des contre-propositions. Mais la crédibilité entachée de leur coloration politique ne leur garantit plus la légitimité de parler de façon désintéressée des tares du régime. Quant au lanceur d’alerte « apolitique », son discours ne vise pas exclusivement les faits politiques : les faits de société les plus ordinaires sont traités dans les réseaux sociaux et deviennent ainsi des sujets de débat public.

La dépolitisation dont parle Chomsky semble donc être un phénomène universel lié aux mutations socio-économiques de la modernité. Cette dépolitisation ne veut pas forcément dire la mort de la politique (il y aura toujours de la politique tant qu’il y aura des sociétés humaines) ; elle signifie plutôt une nouvelle façon d’exercer sa citoyenneté en dehors des partis politiques. Les gilets jaunes en France, la plateforme « Aar Linu Bokk » au Sénégal, les mouvements citoyens, les lanceurs d’alertes et autres activistes sont les héritiers des partis politiques traditionnels.

Ceux-ci ne vont disparaître subitement comme un personnage en beurre sous l’action du soleil, mais leur impact risque de devenir de moins en moins net dans le jeu politique. Si les grandes luttes politiques pour l’émancipation et le bien être des peuples peuvent s’opérer en dehors des partis et sans leader politique, pourquoi continuer à militer dans un parti ? Si le citoyen se forme politiquement davantage sur les réseaux sociaux que dans les instances trop bureaucratiques d’un parti politique, pourquoi devrait-il encore suivre un homme politique ?
 


1.Posté par Bass less le 07/12/2019 11:54 (depuis mobile)
Merci PST . votre analyse est lucide et rigoureuse ce qui fait cruellement défaut dans votre corporation. Le Sénégal est à une phase critique de son évolution. Il y a comme qui dirait une mutation dans le comportement des sénégalais face aux poli

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