Ces signes qui ne doivent pas tromper Macky (Par Mame Gor Ngom)

TRIBUNE LIBRE
Lundi 31 Janvier 2022


 
 
Cette répétition de l'histoire politique sénégalaise, ces coïncidences remarquables ne peuvent pas être éludées en ces temps d'analyses des élections locales du 23 janvier 2022. Deux acteurs majeurs : Macky Sall et Abdoulaye Wade. Ce dernier, président de la République en 2000, réélu en 2007 au premier tour, organise des élections locales en mars 2009.
Elles ont été initialement prévues le 18 mai 2008 avant d’être reportées à cause du nouveau découpage administratif qui a vu la création des régions de Sédhiou, Kaffrine, Kédougou le 1er février 2008. Le 22 mars 2009, l’opposition conduite par la coalition Benno Siggil Sénégal (BSS), gagne à Dakar, Thiés, Louga, Saint-Louis entre autres grandes villes.
La bataille de la capitale avait alors attiré plus d’attention à cause des intentions prêtées à Wade d’aider son fils Karim à être maire de Dakar, une « station » qui devrait être un moyen d’accéder à la magistrature suprême. Khalifa Sall, le candidat de BSS avait d’ailleurs beaucoup insisté sur cette éventualité dans son discours de campagne. A l’arrivée, le rejet a été massif emportant ainsi le maire sortant Pape Diop.
Si à l’époque, l’opposition d’alors avaient argué que les Sénégalais ont rejeté « la politique menée jusqu'ici par le camp présidentiel", le pouvoir tout en reconnaissant les préoccupations des populations pour une «politique locale autrement», réclamait une victoire éclatante car ayant gagné la grande majorité des collectivités locales.
C’est le même discours qui est en cours aujourd’hui. Il est porté par le président de la République lui-même après la sortie de quelques lampions qui négligent la raclée électorale infligée à Benno Bokk Yakaar (BBY) à Dakar, sa banlieue proche, lointaine et dans d’autres villes stratégiques et symboliques à l’image, de Thiés, Diourbel, Ziguinchor. Ils poussent l’audace jusqu’à affirmer sans sourciller, qu’en réalité, « ils n’ont pas perdu » même là où ils ont perdu.
Un discours qui peut paraître paradoxal mais qui peut se comprendre comme une manière de se faire «bonne conscience» et surtout de ne pas montrer des faiblesses qui pourraient démotiver davantage la « troupe » et encourager des adversaires de plus en plus confiants et confortés par les urnes. Car, il est impensable que l’Alliance pour la République (Apr) et ses alliés de BBY fassent l’économie d’une étude approfondie des résultats de ces élections locales. La suite des choses nous diront si les tenants du pouvoir actuel ont réellement saisi les messages lancés par les électeurs ou non.
Le précédent Wade
Après la « victoire-défaite » du Pds et de sa coalition en 2009, l’acte le plus retentissant de leur chef de file, a été de nommer Karim Wade l'un des artisans de la déconvenue à Dakar, ministre d'Etat chargé de la Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures dans l'équipe dirigée par le tout-nouveau Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye. Une « prime à la défaite » qui a mis en exergue cette obsession de Wade à mettre son fils en orbite Ce qui a donné des arguments aux tenants de la thèse de la « monarchisation ».
Un vrai « ministre du ciel et de la terre », pour reprendre les caricatures de l’époque, si l’on sait qu’il lui revenait de diriger la construction du nouvel aéroport international de Diass, de grands travaux routiers, l’autoroute à péage mais aussi
la supervision de la compagnie aérienne Air Sénégal International, en pleine crise du fait notamment de la mésentente entre le Maroc et le Sénégal.
Le chef de l’État n’avait manifestement rien compris. Le 23 juin 2011, a été une sorte de confirmation de l’opposition des Sénégalais contre le projet du « quart bloquant » derrière lequel beaucoup soupçonnaient un raccourci pour Wade-fils. Les signes de fin de règne des Libéraux aperçus en mars 2009, deviennent ainsi plus visibles. Une troisième candidature mouvementée, meurtrière et une défaite en 2012, Abdoulaye Wade a compris si tard que les manœuvres ont des limites.
La chance du président
Le président de la République a la chance de pouvoir bien apprendre des leçons du passé récent, des expériences malheureuses de son prédécesseur et de son propre vécu. Cette percée de la coalition Yewwi Askan Wi n’est qu’une suite logique des événements de févier-mars 2021 qui ont non seulement secoué son régime, mais ont permis le rapprochement des leaders de l’opposition à l’origine de cette coalition bourreau de Benno Bokk Yakaar dans des villes déterminantes sur le chemin de la présidentielle de 2024.
Wade comme Macky ont été avertis chacun à deux reprises dans les urnes et dans les rues. De manière violente et de manière citoyenne. En février-mars 2021, à la suite des manifestations inhérentes aux accusations de viols contre l’opposant Ousmane Sonko, Sall avait déclaré qu’il avait bien compris sans réellement poser des actes qui corroborent sa bonne compréhension des événements. Il a encore l’opportunité de décrypter froidement avec rigueur les signaux lancés par des électeurs qui n’ont pas succombé au charme de l’argent, du rôle des leaders d’opinion et de la toute-puissance de la communication à outrance, désorganisée et chèrement payée.
Macky Sall est certainement assez réfléchi pour savoir que les signaux sont tellement au rouge, en Afrique, en Afrique de l’Ouest notamment, pour ne pas tenter le diable d’une troisième candidature qui ne peut mener qu'au désordre. La dynamique constatée est en sa défaveur. Au meilleur des cas, il pourrait connaître le sort de Wade en 2012. Au pire des cas, le pire est en train de se jouer « chez nous », chez nos voisins. Ne suivez pas mon regard…
 

Mame Gor Ngom
Journaliste