Construction d’auto-ponts : Scandale financier

TRIBUNE LIBRE
Mardi 21 Mai 2019

Dans une note très détaillée, un ingénieur en Travaux Publics et expert en Infrastructures publiques, révèle plusieurs incongruités dans l'offre spontanée lancée par l'Etat du Sénégal et qui va accoucher de la construction de 13 auto-ponts à Dakar pour un coût de 137,3 milliards FCFA. Comparaison faite avec les auto-ponts construits récemment à Thiaroye et Keur Massar, le coût annoncé par ces nouvelles infrastructures est juste hallucinant. Et figurez-vous bien, d'après cet expert, le marché a été confié à des entreprises étrangères au détriment du privé national.


Oui, nous sommes au courant que l'Etat du Sénégal s'est engagé, suite à une offre spontanée, à la construction de 13 sur 18 (les 5 de plus étant destinés à l’intérieur du pays) autoponts pour un coût annoncé de 137 milliards 306 millions 760 mille 630 FCFA. Un léger calcul nous donnerait en moyenne un coût de 7.6 milliards pour chaque autopont alors que les autoponts sur les carrefours de Thiaroye et Keur Massar n’ont coûté que 3 milliards avec comme composantes un pont de 2x2 voies de 7.20m de large et 230m de longueur en dalle de béton constitué de 5 travées de 18m de large, des bandes d’arrêt d’urgence de 0.5m de large avec un giratoire en dessous du pont avec des trottoirs de 2m de large. La seule différence ce sont les 11km de bretelles de raccordement qui sont en 1x1 voie de 3.5m de large qui ne pourraient pas résorber le gap de plus de 4 milliards par autopont. Nos autorités ont-ils la maîtrise sur ces projets ou bien les pots-de-vin sont passés par là ? 

Le mal dans tout ça en est que nos autorités, dans la course aux grandes réalisations, ne prennent pas souvent le temps d’avoir toutes les informations sur ledit projet avant sa validation, ce qui entraîne forcément des surfacturations avec des avenants à ne plus en finir. 

En tout cas l'objectif reste pertinent car la réalisation de tels ouvrages permettrait d’améliorer la fluidité et le volume de trafic, de décongestionner la VDN, de réduire le coût induit par les problèmes de mobilité urbaine estimé à environ 100 milliards de nos francs chaque année. 
Cependant il est nécessaire de revenir sur la démarche car nous savons également que les offres spontanées sont de loin les marchés les plus transparents du moment où il n’y aurait pas appel d'offre donc pas de possibilité pour nos majors du BTP d’espérer.  

Eh oui ! Le cadre législatif sénégalais ouvre la possibilité aux opérateurs privés de soumettre une offre spontanée à un partenaire public, sans que celui-ci ait préalablement un projet similaire à développer en PPP. Les offres spontanées sont encadrées par l’article 81 du Code des Marchés Publics, mais aussi, par l’article 1 de la loi N°2014-09 sur les contrats de partenariats. Ce texte les désigne comme une proposition à l’initiative d’un opérateur privé relative à l’exécution de contrat de partenariat qui n’est soumise en réponse à un appel à concurrence publié par l’autorité contractante et le montant du projet doit être obligatoirement supérieur à 50 milliards. 

La  courbe monte en vitesse, 60 milliards en 2015, 95 milliards en 2017, 129 milliards en 2018 et nous voilà à 137 milliards pour une société étrangère du nom de MATIERE SA ; et pourtant les alertes de la Banque Mondiale n’ont pas pu stopper le gouvernement du Sénégal. C'est du genre cerise sur le gâteau empoisonné mais qui arrangerait notre gouvernement qui a des difficultés de trésorerie et qui s'inquiète si peu de l'endettement et du comment tout  ceci impacterait sur les populations. 

Les offres spontanées donnent la possibilité tout de même de créer la concurrence afin d'avoir une gamme de choix différents, ce que certainement les décideurs n'ont pas fait car nos majors du BTP sont toujours absents dans de tels projets d'infrastructures de grande envergure. D'ailleurs, que fait l'Etat pour nos majors à part les regarder subir la puissance des multinationales étrangères ? Et pourtant l’Etat aurait pu les accompagner avec des garanties qui leurs permettraient de lever des fonds dans les marchés financiers pour pouvoir concurrencer ces multinationales, parce que préfinancer des projets de plus 50 milliards n’est pas une affaire facile pour des sociétés qui peinent à faire des chiffres d’affaire honorable. 
Je me rappelle du discours d’un Monsieur en 2012 sur lequel j'avais noté ces mots: « je ne suis pas là pour construire des routes et des ponts » mais le voilà en train de construire des autoponts et le malheur est qu'il le fait au profit des multinationales étrangères.  

Pape Abdourakhmane Dabo  
Ingénieur des Travaux Publics  
Consultant en infrastructures publiques.