Jean Charles Biagui, professeur de science politique à la faculté de droit de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, analyse dans un entretien accordé à la presse les tensions apparentes entre le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko. Selon lui, cette situation révèle avant tout une crise de leadership, plutôt qu’un véritable blocage institutionnel. Une prise de parole qui interroge sur la forme et sur le fond Pour Jean Charles Biagui, la récente sortie médiatique d’Ousmane Sonko lors de l’installation du Conseil national de son parti, Pastef, pose autant de questions sur la forme que sur le fond.
« Pourquoi maintenant ? Pourquoi dans ce format partisan ? Pourquoi uniquement en wolof ? », s’interroge-t-il, pointant une démarche peu lisible pour une figure occupant une fonction aussi sensible que celle de Premier ministre.Le politologue souligne également l’ambiguïté entre la posture du chef de parti et celle du chef du gouvernement, alimentant une confusion sur la ligne politique à suivre, notamment sur les sujets de gouvernance nationale. Aucune comparaison possible avec la crise de 1962 Si certains observateurs évoquent un parallèle avec la crise de 1962 entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, Jean Charles Biagui rejette cette hypothèse :
« Le contexte est totalement différent. Nous étions alors dans un régime parlementaire. Aujourd’hui, le Sénégal est dans un système présidentialiste où l’essentiel du pouvoir appartient au chef de l’État. »Il insiste sur le fait que, dans l’actuelle architecture institutionnelle, le Premier ministre ne détient de marge de manœuvre que dans les limites fixées par le président de la République. Une réforme des institutions devenue inévitable La crise actuelle relance le débat sur la nature du régime politique sénégalais. Selon Biagui, un exécutif bicéphale n’est pas viable dans un système présidentialiste. Il appelle à une réforme institutionnelle en profondeur, non pas pour régler des conflits ponctuels, mais pour garantir une séparation effective des pouvoirs :
« Il est illusoire de penser qu’on peut avoir deux commandants en chef dans l’ordre politique sénégalais actuel. »Un risque politique si la crise se prolonge Jean Charles Biagui estime toutefois que la crise peut être rapidement désamorcée, à condition que chacun respecte les engagements de rupture formulés devant les électeurs. Il prévient également contre le danger d’un immobilisme politique :
« Le Sénégal a peu changé. L’arrogance demeure, le train de vie de l’État reste démesuré, et les libertés ne sont pas toujours garanties. Ce n’est pas le moment d’aggraver une crise qui pourrait affaiblir davantage la confiance. »Pour Biagui, la sortie du Premier ministre est le symptôme d’une tension mal encadrée entre deux fonctions appelées à collaborer. Si une réforme institutionnelle ne clarifie pas les rôles et les équilibres, le risque de blocage ou de rupture persistera. Au cœur de cette tension : la nécessité de mettre fin à la concentration excessive du pouvoir dans les mains d’un seul homme.