Empêcher la vérité d’embarquer, financer le vacarme (Par Karl le Berlinois)

POLITIQUE
Lundi 6 Octobre 2025

L’arbitraire n’a pas besoin de notification, mais les corbeaux ont besoin de conventions : voilà la République à l’envers


Cher Pape Malick,
La nouvelle m’est parvenue jusque dans mon vieux Berlin : vous avez été empêché d’embarquer, au beau milieu de la nuit, comme si l’on voulait transformer une formalité de police en scène de théâtre. Aucun décret, aucune notification, aucune décision officielle. Rien qu’un geste brutal, arbitraire, destiné à humilier plus qu’à interdire. Permettez à un vieux Berlinois qui a vu les pires régimes de l’Histoire de vous dire : lorsqu’un pouvoir en est réduit à retenir ses contradicteurs aux frontières, c’est que son autorité chancelle. Je sais, cher ami, que vous êtes économiste, et que vous avez toujours choisi l’arme de la raison plutôt que le glaive de l’injure.

Vous avez démonté, point par point, les sophismes saupoudrés de ces nouvelles autorités, sans jamais verser dans la grossièreté. Vous avez répondu par des chiffres, des analyses, des faits. Voilà ce qui les insupporte : votre calme, votre rigueur, votre refus d’aboyer. Car, face à un corbeau qui croasse, le silence d’un homme d’État est une gifle plus éclatante que mille insultes. Et voilà qu’on tente de vous faire passer pour un fugitif ! Comme si un homme qui chercherait la fuite choisissait de prendre Air Sénégal, en plein samedi soir, sous les yeux de tous ! J’ai ri, oui, j’ai ri de cette mise en scène grotesque.

Les dictateurs débutants croient toujours qu’ils inventent des stratagèmes nouveaux ; en réalité, ils ne font que répéter les vieilles farces d’un pouvoir apeuré. Mais, cher Pape Malick, l’affaire va plus loin que votre seule personne. Elle révèle la stratégie du régime : museler la raison et amplifier le vacarme. Vous, l’économiste, l’homme posé, on vous empêche de parler. Pendant ce temps, on lâche sur la place publique des meutes d’influenceurs payés à la convention - dix, quinze contrats pour certains - pour insulter, diffamer, cracher sur des communautés entières, et même se battre en direct sur TikTok comme des gladiateurs du mépris. Voilà leur agora, voilà leur Parlement : un écran de smartphone, un bras fracturé brandi comme trophée, une logorrhée d’injures en guise de programme. Il y a moins de deux jours, l’un de ces oiseaux de malheur s’est permis d’attaquer un vénérable religieux, Pape Matar Kébé, et à travers lui toute une communauté de croyants.

Avant lui, une soi-disant journaliste avait insulté une ethnie entière, celle de l’ancien président Macky Sall. Et hier encore, deux corbeaux se battaient pour savoir qui croasserait le plus fort, jusqu’à s’envoyer à l’hôpital. Pendant ce temps, les conventions avec la presse sérieuse sont supprimées, réduisant au silence ceux qui pourraient informer, débattre, éclairer. Voilà le nouveau paysage : l’insulte subventionnée, la vulgarité rémunérée, la raison bâillonnée. Je vous le dis, cher ami, j’ai connu cela dans l’Allemagne des années 30. Quand la raison est étouffée, quand les intellectuels sont exilés ou réduits au silence, quand les clowns et les vociférateurs occupent la scène, alors le pire n’est jamais loin. On ne construit pas une démocratie avec des TikTok, on ne nourrit pas un peuple avec des lives hystériques, on ne soigne pas une nation avec des contrats distribués à des insulteurs.

Cher Pape Malick,
Votre dignité face à l’arbitraire vaut plus que mille slogans criés par ces corbeaux. Vous êtes de ceux qui démontrent, par leur attitude, que le Sénégal possède encore des cadres capables de défendre la République sans hystérie. Laissez-les s’agiter, se vendre, se battre pour un cachet : l’Histoire ne retiendra pas leurs croassements. Elle retiendra votre calme, votre rigueur, votre foi dans la vérité. Moi, vieux Karl, je n’ai plus que ma plume. Mais croyez-moi : une plume trempée dans l’ironie peut percer plus sûrement qu’une baïonnette rouillée. Et puisque ces apprentis autocrates redoutent la lumière, écrivons, parlons, dénonçons. Leur vacarme n’étouffera jamais la voix de la raison.

Recevez, cher Pape Malick, l’expression de mon respect, et la certitude que, même à des milliers de kilomètres, un vieux Berlinois se tient à vos côtés contre le règne des corbeaux.