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Et si nous décolonisions nos esprits, nous aussi les Blancs !

POLITIQUE
Lundi 2 Septembre 2019

Et si nous décolonisions nos esprits, nous aussi les Blancs !
(Sur fond de controverse de la Mosquée Massalikoul Djinane)

Les derniers propos de Fatou Diome font polémique : elle remet en cause le mouvement intellectuel africain de décolonisation des esprits. Elle l’assimile à un courant peu ou prou ringard. Les ateliers de Dakar initiés par Achille Mbembé et Felwine Sarr n’ont qu’à bien se tenir ! L’écrivaine franco-sénégalaise, à grand succès, est conditionnée par sa nouvelle interculturalité. Elle est toujours africaine certes, mais autrement ! Personne ne la blâmera ! Ce que je retiens dans cette controverse, c’est que sa sensibilité autour de la conciliation des mondes n’est pas en phase avec les aspirations patriotiques en cours au Sénégal.

Les activistes sénégalais, très en verve en ce moment, en particulier sur l’exploitation des ressources pétrolières et gazières, sont plutôt enclins à penser le contraire. Les esprits des gouvernants africains seraient encore colonisés ! Le dessert gâté pourrait leur donner raison contre Fatou Diome.
Laissons ce passionnant débat aux élites africaines ! Ce qui m’intéresse présentement, c’est notre décolonisation des esprits, à nous, les Occidentaux ! Où en sommes-nous ? Emmanuel Macron se demande s’il y a quelque chose qui cloche en France avec l’Afrique. Il agit tous azimuts : baptiser certaines rues des noms de tirailleurs sénégalais, initier Africa 2020 pour exposer une autre Afrique aux français…L’effort est louable. « La France a une part d’Afrique en elle ! », clame le président de la République française. C’est beau, c’est fort ! Avec mon ONG, je me bats pour faire reconnaître le concept Afro-européen. Je ne peux donc qu’applaudir !

La sincérité du président français ne peut pas être révoquée en doute. Seulement, malgré sa bonne foi, ça ne marche pas ! Le sempiternel discours de politique africaine (à Ouagadougou) en début de mandat présidentiel, la création d’un Conseil présidentiel pour l’Afrique sous la coupe du président français, la mainmise souterraine sur le débat du FCFA par la cellule africaine de l’Elysée, la présence de l’armée française conclue à travers des accords secrets (avec des contreparties ?), une diaspora piégée et instrumentalisée, sont autant de preuves du nouveau paternalisme français. Comme un bon père de famille, la France a toujours un avis à donner sur l’Afrique ! Au siège de son agence de développement à Paris (AFD), la France s’interroge sur l’école du futur en Afrique (janvier 2018).

C’est toute la culture française qui doit être soumise à une introspection par rapport à l’Afrique. Sans cela, rien ne changera en France, même si les futurs présidents incarneront des nouvelles générations ! La France a toujours une part de son passé en elle ! Dans un rapport « Prêts pour l’Afrique d’aujourd’hui », l’Institut Montaigne pose neuf conditions pour la réussite de nos entreprises en Afrique, dont la promotion d’un « discours de restart ». En gros, les compteurs entre la France et l’Afrique sont remis à zéro. C’est à cette condition que les entreprises françaises ne seraient plus handicapées par la charge historique et politique. Donc on efface le passé ! Erreur fatale car celui-ci revient inexorablement comme un boomerang !

Notre principal frein en Afrique, c’est précisément l’absence de conscience de notre passé. Aussi répétons-nous parfois les mêmes erreurs ! A Alger, Emmanuel Macron avait eu le courage de qualifier la colonisation comme un crime contre l’humanité. Il a dû se rétracter. Les français ne sont pas encore prêts ! Les responsables français ont tout essayé : la décomplexitude (doctrine Sarkozy) nous a conduits à l’impasse du discours de Dakar ; le jeunisme de Macron a fait illusion quelques mois. En effet, c’est paradoxal : nous avons un jeune, très jeune président français, parlant le langage des jeunes (start-up, high-tech…) mais beaucoup d’observateurs remarquent le désamour des jeunes africains pour la France. Les derniers propos d’un membre du Conseil national du Rassemblement national (parti d’extrême droite français) concernant la Mosquée Massalikoul Djinane à Dakar, n’arrangeront en rien notre image en Afrique.

D’aucuns minimiseront la portée de ce discours d’un proche de Marine Le Pen. Ils prétexteront que ces gens-là sont excessifs. Leur parole ne compte pas ! La présidente de ce parti français n’avait pas manqué d’humilier le Sénégal lors d’une campagne régionale dans les Hauts-de-France. Comme promesse électorale, elle avait proposé de ne plus acheminer de moustiquaires à la ville de Saint-Louis. Risible ! Toutefois, le Rassemblement national a gagné les dernières élections européennes en France, devant le parti de Macron, La République En Marche. Les écarter du débat ne suffit plus ! Il faut les écouter et leur répondre ; ils représentent une partie non négligeable de français. Et il se dit aussi que le Rassemblement national évoque tout haut ce que pensent les français tout bas !

Le débat est bien connu de tous. Un pays hors du G7 et des pays émergents peut-il se doter d’infrastructures culturelles et cultuelles de grande envergure ? Pour le proche de Marine Le Pen, l’aide au développement dont dépendrait le Sénégal l’interdirait moralement. D’emblée, il faut tordre le cou aux idées reçues. Il s’impose de rappeler que, par exemple pour le budget de 2017 d’un montant de 3360 milliards de francs CFA, les ressources internes du Sénégal ont été évaluées à 2182 milliards dont 2084 de recettes ordinaires hors dons. C’est dire si le Sénégal ne vit exclusivement pas de l’aide publique au développement (APD). Par ailleurs, le montant des transferts de la Diaspora africaine est supérieur à l’APD. C’est la résultante du dur labeur des sénégalais de l’extérieur obtenu sur fond de discrimination et de racisme, notamment en France.

Toujours sur la fameuse aide, la France octroie des dons sous forme de prêts. C’est une formule inédite très avantageuse, avec un retour à l’investissement unique au monde, pour la banque (l’Agence française de développement) et les entreprises françaises. Pour le TER, ils ont presque tout raflé : une partie du financement, la construction, l’exploitation et la maintenance. La semaine dernière, les agents de la SNCF, société exploitante de la ligne de 37 km et super déficitaire en France, sont arrivés à Dakar pour sélectionner les futurs conducteurs. L’aide française au développement rapporterait plus à la France qu’elle n’apporterait au Sénégal. Un audit s’imposerait pour évaluer si les intérêts du Sénégal sont préservés dans le TER, comme pour le pétrole et le fer.

Revenons plus précisément sur la question morale : les pays en voie de développement ont-ils droit à une politique culturelle et cultuelle ambitieuse ? Une polémique avait été entretenue au Sénégal sur l’édification de la Statue du Monument de la Renaissance. Celle-ci aurait été l’expression de la mégalomanie de Wade. Il y avait plus urgent pour le Sénégal. Et pourtant, aujourd’hui, de façon incontestable, cette statue fait corps avec Dakar. Elle devient le lieu de fierté des Africains en visite à Dakar. Pour le château de Versailles, les mêmes reproches auraient pu être soulevés à l’époque. Voilà un édifice qui, avec les guerres, a rendu les caisses vides du trésor public à la mort du Roi soleil. La situation sociale était tendue en France dans la 2ème partie du règne de Louis XIV. Les membres du Congrès du parlement français qui, réunis à Versailles courant juillet 2018, le savaient-ils ?  

Les cathédrales gothiques construites au XIIème siècle ont exigé beaucoup d’argent. A tel point que l’aide financière des prostituées a été acceptée par les ecclésiastiques à condition qu’elles ne soient pas trop maquillées ! Comme pour la Mosquée Massalikoul Djinane, les cathédrales ont été financées par les appels à la générosité de la population. Aujourd’hui, la France traverse une période sociale délicate avec les gilets jaunes, conséquence d’une cassure entre la ruralité et les villes, entre la classe moyenne et les riches. Le Sénégal a-t-il fait des remontrances à la France lorsque 7 milliards d’euros ont été annoncés pour rénover le toit de Notre Dame ?

Le Sénégal n’était-il pas en droit de le faire dès lors qu’il aurait bradé son pétrole à la demande de la France, selon l’ancien Ministre de l’Energie Thierno Alassane Sall ?
Dans ce débat, se cache une pensée plus insidieuse qui va au-delà de la seule question morale posée précédemment. La querelle offensante sur la Mosquée Massalikoul Djinane traduit une certaine mentalité française aux relents colonialistes (qui ne concerne pas tous les français !). Les laïques sénégalais doivent bien le saisir ! Nous sommes au cœur d’une vision civilisationnelle qui ne pense qu'en termes de pauvreté financière, mais qui ne voit pas la richesse autrement et ailleurs, celle de l’âme, celle du cœur, celle de l’esprit. Les constructeurs des cathédrales avaient une toute autre démarche. On l’a oubliée !

Mais voilà l’Europe est en panne de grands projets : elle s’interroge sur elle-même ; elle ne sait plus vraiment où elle va ! Quand on s’attaque à la culture des autres, cela signifie un repli identitaire, un retour au commencement ; on ne se projette plus vers l’avenir. Le slogan de Macron « Pour une Renaissance européenne » sonne creux aujourd’hui !

Et pourquoi opposer un lieu de culte à une école, à un hôpital ? Le culte et l’hommage à Dieu, c'est aussi la culture d'un pays, c'est ce qui donne de l’estime, ce qui donne de la foi pour survivre et croire en la vie et en l’avenir, le sien et celui d’un pays ; c'est ce qui au Sénégal permet à chacun de vivre dans le respect des uns et des autres, entre confréries musulmanes, et entre musulmans et catholiques : c’est ce que j’appelle l’équilibre vital sénégalais.

Mais voilà, le néocolonial comme ses aïeuls ne conçoit pas que l’Africain puisse être doté d’une culture ; il le lui a toujours nié. C’est un déni qui perdure depuis des siècles. Cette pensée ne se limite pas aux seuls membres du Rassemblement national. Ce serait presque trop simple ! Elle part de la base, c’est-à-dire du peuple français au niveau de son éducation, pour aller jusqu’au sommet de la pyramide, le chef de l’Etat français, en personne, le « grand commandeur » de l’Afrique, au vu de ses prérogatives exorbitantes. Emmanuel Macron n’est pas en reste : le discours sur le défi civilisationnel concernant la démographie passe mal, même auprès des féministes africaines ! C’est donc bien toute notre éducation qui est interpelée et qui est à revoir, de l’école jusque dans nos familles.

Pourquoi ne pas penser qu'un pays a besoin à la fois d'une Mosquée, d'un hôpital et d'une école ? La construction de l'un n'empêche pas l'autre de voir le jour. Arrêtons de penser toujours dans la perspective du misérabilisme lorsqu'il est question de l’Afrique ! C'est pénible à la fin ! Il est évident que les autorités sénégalaises doivent faire davantage pour la santé et l’éducation.

La communauté des Mourides qui a fièrement contribué au financement de la nouvelle Mosquée de Dakar, a toute légitimité pour faire pression sur le gouvernement sénégalais quant à la bonne gouvernance de l’exploitation du gaz et du pétrole. La ristourne faite à Total représente combien d’hôpitaux et d’écoles ? Je questionne sur ce sujet Madame Aminata Touré qui n’a eu de cesse de parler légitimement de reddition de comptes et à cette occasion de chiffrer tout cela en nombre d’hôpitaux et d’écoles !

Dans cette polémique, ce que je vois de positif, c'est que le Sénégal pourrait se passer de l'aide au développement sournoise qui crée une dépendance cyclique. Je ne parle pas des investisseurs nationaux et étrangers dont tous les pays de la planète ont besoin, pauvres ou riches. A travers la construction de cette Mosquée, les sénégalais ont été capables de lever une somme considérable. Henry Krauss avait fait remarquer que : « L’érection d’une cathédrale (…) est la résultante de la situation économique, sociale et politique où elle s’immerge ». La Mosquée Massalikoul Djinane montre qu’un nouveau modèle de financement peut s’opérer. Comme le souligne Felwine Sarr, l’Afrique n’est pas sous perfusion. Elle a toute la richesse nécessaire pour décider elle-seule de son avenir.

Ne touchons pas à la fierté du peuple sénégalais, à son amour-propre ! A la résistance des Mourides face aux premiers colons européens ! Au nouvel ambassadeur français, SEM Philippe Lalliot, questionnez-vous sur l’histoire de Thiaroye et collaborez avec les autorités sénégalaises pour ériger un Institut sur l’histoire coloniale à proximité du lieu emblématique du cimetière de Thiaroye !  Ce serait un premier pas vers l’apaisement entre le passé et le présent. C’est à ce prix-là et fort d’une nouvelle éducation en France que nous gagnerons la confiance de nos frères africains.

Emmanuel Desfourneaux
 

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