« Faut-il brûler les Facultés de droit du Sénégal ? » : Propos irrévérencieux d’un universitaire citoyen sur l’actualité politico-judiciaire !

TRIBUNE LIBRE
Jeudi 23 Juin 2022

Etablir un rapport d’imputabilité entre les Facultés de droit et l’actualité politico-judiciaire sénégalaise pourrait sembler aporétique, voire chimérique. Un bref exposé de l’histoire de l’Université sénégalaise permet cependant d’attester une telle filiation.

Le monde académique sénégalais en général, les Facultés de droit en particulier, même dans cette ère contemporaine sont des vestiges du fait colonial. Antérieure à l’accession de l’Etat du Sénégal à la souveraineté internationale, l’Université Cheikh Anta Diop a été pensée et élaborée en marge des préoccupations des populations locales.

Outil devant garantir la permanence de l’ordre colonial, l’Université sénégalaise agit en surplomb de la société humaine dont elle est présumée appartenir. Et les Facultés de droit incarnent, avec une résonnance particulière, cette distance existant entre la chose juridique et ses destinataires. La généalogie coloniale des Facultés de droit au Sénégal a contribué fortement à faire des sciences juridiques non pas un savoir du Juste mais plutôt une science du pouvoir.

A l’image de l’administration coloniale construisant le Droit comme un instrument de répression et d’humiliation des sujets africains, le monde académique sénégalais est fondamentalement convaincu que la science juridique est un ordre de pouvoir empruntant son herméneutique non pas aux populations mais plutôt au législateur qui n’est autre que le pouvoir politique. Dans cet ordre d’idées, le positivisme juridique constitue le paradigme dominant dans les méthodes d’apprentissage et les programmes d’enseignement.
 

D’un point de vue anthropologique, ces assauts contre l’institution judiciaire renseignent sur sa désacralisation par les couches populaires. La démythification de la justice dans l’imaginaire collectif constitue une menace contre la pérennité de la nation sénégalaise dont la construction demeure fragile et inachevée.

S’agissant des Facultés de droit, leur faillite dans leur responsabilité à promouvoir un Etat de droit s’exonère de toute démonstration. Censé exercer une autorité morale sur toutes les professions du droit, le monde académique souffre d’un incivisme insupportable. Le silence bruissant de la communauté universitaire sur l’actualité politico-judiciaire est un signe de sa défaite intellectuelle. L’anti-intellectualité du monde « savant » sénégalais peut se constater à travers l’Association Sénégalaise de Droit Constitutionnel (ASDC), structure composée substantiellement d’universitaires de droit public.

La fonction d’une corporation savante particulièrement de droit constitutionnel n’est pas exclusivement d’organiser des colloques et autres rencontres insipides, mais de donner aussi son opinion et expertise sur les questions sociétales ayant une forte charge de droit constitutionnel. Les décisions récentes du Conseil constitutionnel ayant fortement contribué à abîmer la science juridique, il était du devoir de l’ASDC d’exprimer sa désolidarité à l’égard des sept « sages ».

Toutefois, l’auteur de ces lignes n’est point surpris par ce mutisme des universitaires publicistes, lorsque certains parmi eux assimilent la science constitutionnelle à une ingénierie, tandis que d’autres plus ignorants se réclament comme agissant dans la « haute couture ». Que d’inculture ! La Constitution n’est pas une addition de normes ; elle est l’âme d’un peuple et son savoir déborde l’étroitesse de la science des ingénieurs. Elle n’est pas aussi un corps susceptible d’être habillé par n’importe quel « grand couturier ». La Constitution n’est pas une loi, c’est un totem.

L’édification d’un Etat de droit au Sénégal ne se réalisera pas sans une refondation épistémologique des Facultés de droit. Il est plus que vital pour les acteurs du monde juridique de comprendre que le juriste n’est pas un sachant de la mécanique des lois mais un amoureux du juste.
Faut-il brûler les Facultés de droit du Sénégal ? Les éventuels pyromanes gagneraient à mobiliser leurs énergies dans des crimes plus féconds. On ne tue pas un cadavre. Et ceci n’est pas une litote.
 

Abdoul Aziz DIOUF
Professeur titulaire, Agrégé des Facultés de droit
Université Cheikh Anta Diop de Dakar