Gouvernement Amadou Ba : Questions autour du limogeage des ministres Amadou Hott et Matar Ba

POLITIQUE
Vendredi 23 Septembre 2022

Certes, le président de la République, élu par les Sénégalais à une majorité écrasante en 2012 et réélu triomphalement en 2019,  dispose des prérogatives constitutionnelles de nommer aux emplois civils et militaires. Malgré l’existence du poste de Premier ministre, il est le véritable chef du Gouvernement dans lequel il nomme qui il veut et duquel il révoque qui bon lui semble. Il n’a de comptes à rendre à personne si ce n’est, à échéances régulières, au peuple sénégalais qui l’a investi de sa confiance. Il n’empêche, certaines de ses nominations ne cessent d’interroger. Certains limogeages aussi. On sait bien que plusieurs considérations entrent dans la formation d’un Gouvernement, qu’il y a des réalités politiques à prendre en compte, des dosages à effectuer, des équilibres politiques, régionaux, confrériques, religieux, de genre et même familiaux etc. à respecter ! Des quotas à préserver. Tout cela, on le comprend.
Cela dit, de notre point de vue, un gouvernement c’est comme une équipe de football où seuls les meilleurs du moment à tous les postes doivent être classés. Du moins si l’objectif est d’obtenir le maximum de victoires possible et, pourquoi pas, de remporter le trophée. De ce point de vue, laisser des joueurs performants sur le banc et faire entrer dans le terrain des coéquipiers en méforme n’est sûrement pas le meilleur moyen de gagner le championnat ou la coupe. C’est pourquoi, tout en respectant les hommes  et les femmes qui ont été sélectionnés pour faire partie de la « team » Amadou Ba, et après leur avoir souhaité une pleine réussite dans l’accomplissement de leur mission, on ne peut manquer de se poser des questions et d’exprimer des regrets.
Il est en effet permis de se demander, à la lumière de la métaphore footballistique évoquée ci-dessous, les raisons de la résilience des contrats de ministres  comme Amadou Hott et Matar Bâ, pour ne prendre que  ces deux exemples, perçus par tous comme étant de grands travailleurs. En témoignent les résultats obtenus à la tête des départements qui leur avaient été confiés. Au ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération, le brillant banquier Amadou Hott a abattu un travail de titan après avoir quitté le prestigieux poste de vice-président de la Banque africaine de Développement (BAD) et une situation plus que confortable pour venir se mettre au service de son pays. Comme ministre, lui et ses équipes ont travaillé d’arrache-pied et en mode fast-track, selon un terme qu’affectionne le président de la République, c’est-à-dire jour et nuit et sans relâche, en consultant tous les acteurs du gouvernement, économiques, sociaux, les consommateurs et les partenaires pour concevoir le Programme de Résilience Economique et Sociale (PRES), au lendemain de la pandémie de Covid-19, et aussi le PAP 2A, qui est un programme de relance économique. Des programmes salués par tous surtout le PRES et ses 1.000 milliards de francs de financement. Ce PRES, qui a représenté 7 % du PIB national, était le deuxième plus important de toute l’Afrique après celui de la puissance économique qu’est l’Afrique du Sud. Mieux, une bonne partie des financements a été levée là aussi en mode fast-track (décidément !) par les équipes du ministre Amadou Hott.  La mobilisation des financements a atteint des chiffres record, preuve de la grande crédibilité du Sénégal et de son président de la République auprès de tous  ses partenaires techniques et financiers. Avec la même célérité, c’est-à-dire en un temps record, la grande réforme des dispositifs du PPP (Partenariat Public Privé) a été réalisée. Ce sont là quelques une des réalisations à l’actif du ministre Amadou Hott qui, bien qu’il n’ait pas gagné dans le département de Keur Massar — mais à cette aune, d’autres perdants ont été reconduits ! — n’en est pas moins un brillant technocrate dont le travail est apprécié de la majorité de nos compatriotes et aussi par les partenaires du Sénégal. Son limogeage constitue un gâchis, assurément, d’autant plus qu’il n’est pas sûr que la bienheureuse qui le remplace au ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération puisse faire mieux que lui, et même autant que l’enfant de la banlieue qu’est Hott.
 
Tout aussi étonnant est le congédiement du ministre des Sports, Matar Bâ. Si l’on sait que ce département ministériel est en réalité avant tout celui du football, et que c’est sous sa direction que le Sénégal a gagné pour la première fois de son histoire la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) derrière laquelle il court depuis 1960, alors ce seul exploit aurait dû suffire à assurer le maintien de Matar Ba à son poste. Il s’y ajoute que notre équipe nationale de football, « Les Lions », s’est qualifiée brillamment pour la Coupe du Monde du Qatar qui doit démarrer dans deux mois. Sans compter que les autres disciplines sportives font bonne figure dans les compétitions internationales avec notamment une qualification espérée pour les championnats du monde de basket-ball ou un programme de réhabilitation des infrastructures sportives en cours. Encore une fois, rien que la victoire de la CAN suffit à rendre positif le bilan de Matar Ba et à justifier son maintien au sein du Gouvernement ! On regrettera donc le limogeage comme des malpropres de ces deux ministres qui n’ont pas démérité à leurs postes.
 
Moustapha Diop, un maintien à l’Industrie qui fait désordre
 
En revanche, sans souhaiter le départ du gouvernement de M.  Moustapha Diop, il est quand même permis de s’interroger sur la pertinence de son maintien à la tête d’un département aussi stratégique en ces temps de crise économique mondiale que celui de l’Industrie. L’une des principales leçons tirées de cette pandémie par les pays occidentaux, européens notamment, a été de reconnaître l’erreur d’avoir délocalisé l’essentiel de leurs industries en Asie, en particulier en Chine, pour profiter des bas salaires et donc baisser leurs coûts de production. L’impératif pour ces pays est donc de relocaliser leurs usines et de se réindustrialiser. Dans notre pays, hélas, où le maigre tissu industriel se meurt du fait de multiples facteurs, plutôt que de mettre un ministre balèze connaissant les problèmes de l’entreprise à la tête du ministère de l’Industrie, personne ne comprend que M. Moustapha Diop, qui n’a franchement pas le profil de l’emploi, soit maintenu à son poste. Sans lui souhaiter de se retrouver en chômage, nous estimons que le président de la République aurait quand même pu lui choisir un département plus en phase avec ses compétences. Ou son incompétence ! Si c’est pour des raisons politiques qu’il a été reconduit, et tout l’indique, alors on aurait pu lui donner un petit ministère politique et certainement pas l’Industrie, un domaine dans lequel il ne connaît que dalle ! Au risque de tuer encore un peu plus ce secteur si vital de notre économie. Sauf si, encore une fois, la compétence ne faisait pas partie des critères fixés pour faire partie du gouvernement Amadou Ba…

Christian SENE
 
« Le Temoin » quotidien