La place des NTIC dans l’activité judiciaire à l’épreuve du covid 19

TRIBUNE LIBRE
Dimanche 26 Avril 2020

Le monde traverse aujourd’hui l’une des périodes les plus calamiteuses de son existence.
Considéré de prime abord comme une grippe locale et saisonnière depuis Wuhan, le covid 19 a fini par se répandre comme une trainée de poudre sur tous les continents.
Voilà qu’une particule de l’infiniment petit vient s’attaquer à l’humanité de manière furtive, inopinée et rude en dictant sa loi, sans distinction de race ni de confession, de statut social, d’âge et compte non tenu des frontières. On dirait que l’ange de la mort est passé par là, les chiffres parlent d’eux-mêmes, les malades et les morts sont comptés par milliers.
Nul n’est censé ignorer sa loi dont les dispositions sont notamment, les mesures d’hygiène, la distanciation sociale, l’obligation aux Etats de prendre des mesures drastiques, limitant les libertés individuelles telles que l’état d’urgence, le couvre-feu ou même le confinement.
Ces mesures ont donné un coup d’arrêt à toute activité humaine, telle que la justice. En effet, des prisonniers ont bénéficié de la grâce présidentielle, des audiences sont suspendues et reportées sine die ou organisées à huis clos.
Les professions juridiques, notaires, avocats, magistrats,
huissiers de justice et même les entreprises ainsi que l’enseignement sont inéluctablement impactés.
Face à cette situation que faut-il faire pour que le service public de la justice puisse se conformer au principe de continuité ?


Le juge face au covid 19 est confronté à des défis brusques notamment, la nécessité de ralentir les activités de la justice pour contenir la propagation de la pandémie, ce qui pourrait engendrer l’augmentation exponentielle des contentieux.
Ainsi, à notre humble avis, pour relever ces défis le recours aux technologies de l’information semble être inévitable comme cela se fait dans d’autres secteurs par le télétravail.
L’occasion est présente ou jamais pour le Sénégal de mettre en œuvre son arsenal juridique relatif au numérique.
Et pour ce faire, il urge de mettre en place un dispositif numérique suffisant, afin de consacrer la  dématérialisation des procédures.
 
 
Les technologies de l’information démontrent aujourd’hui, qu’elles peuvent être avantageuses en temps normal et surtout en temps de crise. Elles peuvent permettre à la justice de continuer à fonctionner, tout en limitant les interactions humaines. C’est pourquoi nous recommandons fortement au pouvoir judiciaire de faire recours aux outils informatiques par la création de dossier numérique et l’utilisation de la visioconférence. Avec le numérique le visage du procès doit changer surtout en cette période de pandémie.
L’on doit passer maintenant du matériel à l’immatériel, qui va se manifester par la création de dossier numérique.
La création de dossier numérique consistera à doter les juridictions de plates-formes d’échanges avec des outils efficaces, tels que les logiciels spécialisés, les réseaux, et les équipements individuels, qui seront alimentées et consultées par les acteurs du procès. Il faudrait dorénavant une mise en réseau des magistrats et des greffiers pour que l’assignation, l’enrôlement, la notification et la publication des décisions de justice puissent se faire par voie électronique. Ainsi, ces plateformes permettront aux justiciables de suivre leurs dossiers en temps réel, en clair d’accéder aux calendriers des audiences, aux rôles d’audience...
Le tribunal de commerce hors classe de Dakar est dans cette logique à travers, le lancement d’une plateforme dématérialisée des procédures, qui est un exemple à suivre par les autres juridictions.
En s’inspirant de la France, l’on pourrait également créer des réseaux tels que le RPVJ
(Réseau privé virtuel justice) et le RPVA (Réseau privé virtuel avocat). Ainsi, avec la mise en place de ces outils, l’on pourrait expérimenter le procès par visioconférence. Comme on l’a vu ces derniers jours, et pour se conformer aux mesures de préventions, le conseil des ministres se tient maintenant en visioconférence. Il doit en être désormais ainsi pour les audiences
judiciaires. En ce sens, le président de la République devrait prendre des ordonnances en vue de simplifier les procédures et surtout urgentes, par l’usage de la visioconférence.
Pour lutter contre le covid 19, l’usage de la visioconférence est venu à son heure, même si l’on sait qu’il y a un faible niveau d’équipement des juridictions actuelles.
En matière pénale comme en matière civile, les audiences pourraient se tenir en visioconférence. C’est-à-dire que les juges, les avocats, les parties et les témoins vont se connecter à distance.
Tout pourrait être fait électroniquement, en ces temps de crise même s’il est vrai que ce progrès technique
est difficilement envisageable du fait que l’accès à l’internet par la population est très faible.
Toutefois, l’usage de la visioconférence permettrait de limiter les déplacements, de réduire le transport des détenus vers les juridictions…
 
Bref, si les juridictions disposent de dossiers numériques, tiennent les audiences par visioconférence, il y aura par voie de conséquence une dématérialisation des procédures.
Avec le covid 19, se déplacer jusqu’au tribunal, c’est s’exposer et exposer en même temps les autres à la propagation de la maladie. C’est pourquoi la dématérialisation des actes de procédure permettrait à la justice de fonctionner malgré le confinement des justiciables.
Ainsi, la très récente loi n° 2020-14 du 08 avril 2020 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de commerce et des chambres commerciales d’appel modifiant la loi n° 2017-27 du 28 juin 2017, vient répondre à un besoin actuel en ce qu’elle prévoit en ses articles 22 et 28 que l’assignation, le dépôt et la communication des pièces, la transmission par l’administration de greffe ou le greffier en chef de la juridiction qui a rendu la décision attaquée de l’acte d’appel peuvent être effectués par voie électronique.
Cependant même si cette loi fait de l’usage du numérique dans les actes de procédures une faculté, on devrait le rendre obligatoire ou du moins le privilégier en cette période de pandémie.
En outre, en matière pénale, en plus de la comparution, de l’enquête et de l’instruction par visioconférence l’on devrait préconiser le dépôt de la plainte par voie électronique ainsi que l’usage des bracelets électroniques en vue de désengorger les prisons.
Ainsi, l’usage du numérique dans le procès permettrait de simplifier, d’accélérer et de rendre plus performant et moins couteuse la justice, tout en permettant de respecter les mesures de prévention contre le covid 19. Le respect de ces mesures pourra également se faire par la notification des décisions de justice par voie électronique.
En 2018, lors de la cérémonie officielle marquant le processus de dématérialisation du RCCM, du greffe du tribunal de grande instance à Saint Louis, l’ancien ministre de la justice Ismaëla Madior FALL disait ceci « La justice doit s’adapter à la modernité du 21 e siècle par l’avènement d’une e-justice au cœur de la transparence, de l’Etat de droit et de l’accès de la justice au justiciable ».
Cette affirmation doit aujourd’hui devenir un vécu des acteurs de la justice et surtout en ces périodes sombres de l’histoire de l’humanité.
C’est pourquoi, l’on préconise que les décisions de justice devraient être établies sous forme électronique selon des modalités qui peuvent garantir leur sécurité.
En outre, il faudrait également consacrer la diffusion des décisions de justice en ligne.
En Somme toute, l’usage des technologies de l’information par le juge, même si l’on peut lui reprocher de tendre vers une justice déshumanisée, du juge loin du justiciable, est aujourd’hui une nécessité sanitaire. Il y va du salut de l’humanité et de la sécurité judiciaire des affaires.
 
Jean Noël Diégane SENE, Titulaire d’un master II en juriste conseil d’entreprise et d’affaires,
doctorant en droit privé (UCAD)