Le cours magistral de Babacar Gaye à Mimi et Guy-Marius

POLITIQUE
Mercredi 4 Janvier 2023

L'ex ministre d'Etat Babacar Gaye a donné son avis technique sur la requête relative à la question d'actualité à l'initiative des députés Aminata Touré et Guy Marius Sagna par laquelle ils sollicitent l'arbitrage du Conseil Constitutionnel. L'Essentiel vous propose l'intégralité du texte de l'ancien député.


Éclairages :
 
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt, la lettre par laquelle Aminata Touré et Guy Marius Sagna ont sollicité , es qualité , l'arbitrage du Conseil constitutionnel. Ils se fondent sur les dispositions de l' article 92 alinéa 1 de la Constitution en vertu duquel "Le Conseil Constitutionnel connaît de la constitutionnalité (...) (sic), des conflits de compétence entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif (...)".
Prenant comme prétexte ledit document, je voudrais donner un avis technique sur les exigences de la rédaction administrative, et le cas échéant, sur la recevabilité et les chances de succès d'une telle requête.
Observations de forme
1.   Exigences de la lettre administrative
La "lettre" ayant pour objet la "saisine en arbitrage pour conflit de compétences entre le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir Législatif", ne répond pas aux normes d'une lettre administrative encore moins celles d'une requête juridique.
D'abord,  au-delà  des  emblèmes  de  la  République  usurpés,  dans  une  lettre  administrative (requête), l'en-tête toujours placé en haut et à gauche de la page doit renseigner sur l'entité d'attache, l'identité , la qualité et l'adresse de l'expéditeur. A droite, le lieu et la date d'émission du courrier. Ces formalités n'ont pas été respectées.
Ensuite,  la  requête  de  nos  députés  est  adressée  "A  Monsieur  le  Président,  Mesdames, Messieurs les membres du
Conseil Constitutionnel (sic); plusieurs destinataires d'une même Institution!
Or, aux termes de la loi organique N°2016-23 du 14 juillet 2023, "le Conseil constitutionnel est saisi par requête adressée à son Président etdéposée au greffe".
2.   Clarté , précision et concision du style
Dans le courrier objet de mon avis, il est mentionné :
"Pendant la session ordinaire unique

-    un jour, au moins, par semaine est réservé aux questions d'actualité ".
Or l'article 92 de la loi organique portant règlement intérieur de l'Assemblée nationale est précis et fait la différence entre "questions d'actualité" propres à l'Assemblée nationale et "questions d'actualité au Gouvernement".
In extenso, le dernier alinéa de l'article 92 précité:
"Pendant la session ordinaire unique
-     un jour, au moins, par quinzaine déterminée à l'avance est réservé aux questions orales
-     un jour, au moins, par semaine est réservé aux questions d'actualité ,
-     un jour, au moins, par mois est réservé aux questions d'actualité au Gouvernement."
 
Manifestement,  en  faisant  référence  au  deuxième  tiret  de  cet  alinéa,  la  requête  pêche  par inexactitude   et   a  sciemment  tronqué  le  dernier  tiret  qui  renferme  les  dispositions  légales qu'elle aurait dû rappeler
 
Dans un prochain texte, j'approfondirai les règles afférentes à l'utilisation de la majuscule dans la nomenclature des organes et titres. Quelques exemples:
Le Conseil Constitutionnel
La Haute Cour de justice du Sénégal
Le président de la République a reçu le Premier ministre et le ministre de la Justice Mais on écrit Le Président Macky Sall
Le maire de Dakar
Le Grand Théâtre etc …
Observations de fond
1.   Vice ratione materiae
Dans  l'objet de la requête, il est mentionné "Saisine en arbitrage pour conflit de compétences entre le Pouvoir Exécutif (sic) et le Pouvoir Législatif (resic)".
Et dans le corps de la requête il est fait référence aux dispositions de l'article 85, alinéa 2 de la Constitution  en  vertu  duquel  "Les  députés peuvent poser au  Premier Ministre et aux autres membres du Gouvernement, qui sonttenus d'y répondre,(...) des questions d'actualité".
Aux termes de l'article 92 (alinéa  1er) de la Constitution, il y a "conflit de compétences entre l'Exécutif et le Législatif" lorsque le président de la République prend un acte qui est du domaine de la loi limitativement énuméré ou lorsque l'Assemblée a adopté une loi dont la matière estdu domaine réglementaire. Il y a manifestement erreur d'imputation du "litige".
2.  Vice ratione personae
Dans les deux cas évoqués supra, seuls peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour arbitrage, le président de la  République ou le Premier ministre, l’Assemblée nationale ou un groupe de députés dont le nombre est fixé par la loi.
A  mon avis, Aminata Touré et Guy  Marius Sagna n'ont pas qualité à agir pour réclamer un arbitrage d'un conflit qui n'existe pas.
3.  Vice ratione temporis
La  question  d'actualité  du  requérant  à  été  déposée  le  19  décembre  2022  au  bureau  de l'Assemblée nationale qui doit en informer le Gouvernement et mettre en rôle par la Conférence des présidents qui fixe la date de la séance qui est consacrée à son examen. Alors questions:
-     Est-ce-que la Conférence des présidents s'est réunie ?
-     Le cas échéant, quelle est la date qui a été fixée pour l'examen  de la question d'actualité ?
C'est seulement après que l'on peut apprécier des délais impartis pour l'examen de la question d'actualité au Gouvernement qui doit impérativement se faire dans le mois. (Article 92 in fine du Règlement intérieur de l'Assemblée nationale)

4.   Défaut de motifs
Dans leur requête les députés déclarent "constater le refus injustifié du Gouvernement de se soumettre à ses obligations constitutionnelles". Le Gouvernement a-t-il exprimé officiellement un refus circonstancié à une saisine de l'Assemblée nationale? Le cas échéant, le requérant devrait fournir  au  Conseil  constitutionnel  la  preuve  écrite  du Gouvernement de se soustraire à ses obligations.
En   conclusion,   nous   devrions   être   plus   rigoureux   en   rédigeant   un  courrier  destiné  à l'administration publique et éviter des erreurs de procédure manifestes dans la mise en œuvre de nos légitimes revendications et prérogatives.
Le Conseil constitutionnel serait fondé à déclarer irrecevable pour plusieurs vices de forme, la saisine de nos vaillants députés. Et si par extraordinaire, il décide de l'examiner, la rejeter pour incompétence et/ou absence de motifs valables.
Il  est impératif aussi que l'on apprenne à promouvoir une bonne rédaction administrative au niveau des différents démembrements de l'Etat, mais aussi à maîtriser les rapports entre les Institutions de la République et leur mode de fonctionnement.


Babacar Gaye
Diplômé du cycle B de l'ENAM et major de la promotion 86-88
Ancien député
Ancien ministre d'Etat