Me Cheikh Wone, avocat à Londres : «Pour saisir les tribunaux anglais, Aliou Sall doit avoir les poches remplies»

JUSTICE
Vendredi 7 Juin 2019

Avocat sénégalais inscrit au barreau de Cardiff (Pays de Galles) et de Londres (Angleterre), Me Cheikh Wone s’exprime, au micro d’Alassane Samba Diop, sur la plainte face à un tribunal anglais, annoncée par le frère du président de la République, qui compte ainsi attaquer la BBC sur ses terres. Il porte un éclairage intéressant sur le système judiciaire anglais qui pourrait être au cœur des rebondissements attendus de cette affaire. L’avocat avertit l’ancien collaborateur de Frank Timis : une procédure devant la justice anglaise "coûte excessivement cher" et il faut avoir le compte bien garni pour pouvoir supporter toutes les charges...

Aliou Sall, frère du président de la République, a annoncé une plainte devant les tribunaux anglais. Quelles sont les chances de voir celle-ci prospérer ?

Aliou Sall est en droit de porter plainte contre la BBC, s’il estime que les informations qu’elle a partagées avec un large public, pas simplement sénégalais mais à travers le monde, et que ce reportage lui a causé un préjudice, s’il pense qu’il a été diffamé et que la BBC l’a accusé de quelque chose qu’il n’a pas fait. N’ayant pas tous les éléments du dossier, je ne peux pas vraiment vous dire les chances de succès d’Aliou Sall devant les tribunaux anglais.

On parle de Common Low dans le système judiciaire anglais, quel est la spécificité par rapport à la justice dans nos pays ?

La Common Low, qui est le système judiciaire dans les pays anglais, est essentiellement un système de droit fondé sur tout ce qui s’est passé avant. Ce qu’on appelle les précédents. La différence n’est pas immense entre le système du Code civil et celui de la Common Low. Mais c’est vrai que les lois qui régissent tout ce qui est diffamation, atteinte à l’intégrité morale de personnes physiques, est quelque chose qui est vieux de six siècles dans le système judiciaire anglais. C’est bien défini et ça coûte excessivement cher. Mon souci pour Aliou Sall, c’est que pour ce genre d’actions devant les tribunaux anglais, il faut avoir les poches bien remplies parce qu’il va devoir commettre des avocats, des solliciteurs, en Angleterre, qui vont eux-mêmes solliciter des avocats qui vont aller plaider. Et les taux horaires de ceux qui plaident pour la diffamation varient entre 3000 et 10 000 livres sterling (environ entre 2,5 millions et 7,5 millions F CFA par heure). C’est pour vous dire que ce n’est pas donné. C’est excessivement cher.

«À CE NIVEAU, TOUT EST OBSCUR... LE GOUVERNEMENT RENTRE DANS UNE POLÉMIQUE QUI NE DEVRAIT PAS EN ÊTRE UNE... LES DÉTAILS QU’IL DEVRAIT CLARIFIER»

Hier, BP a démenti les informations selon lesquelles le Sénégal aurait perdu de l’argent dans ces transactions avec le rachat des actions de l’homme d’affaires Frank Timis...

Ma compréhension de la chose, c’est que la BBC a parlé d’un contrat qui avait acquis, par une société à travers Frank Timis avant d’être revendu à BP avec des clauses qui ne sont pas publiques. On ne les connait. Je rappelle qu’il y a, en droit, la liberté de contracter. Maintenant, il faut voir si ce que Timis a contracté avec BP concerne le Sénégal directement. On ne sait pas ce qu’il y a dans le contrat. Est-ce que Monsieur Timis, en faisant deal avec BP sur les permis qui lui avaient été attribués par le Sénégal, a contrevenu par exemple à des clauses du contrat d’attribution de ces permis de recherches.

Il faut que tout soit publié pour qu’on puisse avoir une opinion claire sur le sujet. Mais, à ce niveau, tout est un peu obscur et ce que je déplore, c’est que le gouvernement du Sénégal rentre dans une polémique qui ne devait pas en être une. Ce que Monsieur Timis a fait avec BP, à la limite, ce n’est pas le problème du Sénégal. Est-ce que BP a contrevenu aux règles internationales qui luttent contre la corruption ? C’est quelque chose à savoir. Qu’est-ce que Monsieur Timis a fait ? Le vrai problème ici, à mon avis, se situe au niveau de l’attribution des contrats à Monsieur Timis. Comment ces contrats ont été attribués ? Est-ce que la procédure a été suivie ? Y a-t-il eu trafic d’influence avec le fait que Timis ait été associé ou (qu’il ait) employé une personne qui est réputée proche du président de la République. Ce sont ces détails que le Gouvernement devrait clarifier.
 
Avec Emedia