Message d’Outre-tombe de Sidy Lamine Niass

POLITIQUE
Lundi 10 Décembre 2018

Par Adama Gaye
C’est, j’en suis sûr, le dernier retournement spectaculaire de situation auquel vous vous attendiez, au milieu de tout le brouhaha autour de ma dépouille et de l’émotion, qui me touche, suscités par ma disparition. Avant même que mon corps, maintenu dans une morgue glacée, ne finisse par retrouver sa place dans la tombe où j’ai un rendez-vous avec mon Seigneur, je n’en finis pas de me demander une question principale: c’est quoi tout ça ?
(adsbygoogle = window.adsbygoogle || []).push({});
J’ai entendu même avant-hier le communiqué du conseil des Ministres évoquant, à son entame, ma mémoire, pour la saluer. Bah, me suis-je dit, ce n’est jamais trop tard pour bien faire. Oh, certains m’en voudront de laisser passer, sans rappeler à mes nouveaux fans officiels combien ils avaient rendu intenable la fin de mon séjour terrestre. 
N’étaient-ce pas eux les commanditaires des projets déstabilisateurs portés par des huissiers et agents du fisc, nantis de redressements mortels, dans le seul but de faire taire la voix que représentait l’œuvre de ma vie -le groupe Walfadjri. En me ciblant, leur ambition était de l’abroger. Afin que ce groupe médiatique, installé avec d’autres sur la scène publique nationale, ne puisse plus s’acquitter de sa mission. Je le répète, sa seule raison d’être était et doit demeurer la production d’une information plurielle, citoyenne, patriotique, critique des pouvoirs tentés par quelque dérive autoritaire ou par la mal-gouvernance. N’en changeons rien !
Le faire serait se jeter dans les bras de mes bourreaux que je perçois d’où je me trouve. Je sens surtout à quel point ils sont mal à l’aise. Je les vois hésitant à faire dans la récupération. Ils ont des raisons d’être frileux, conscients que les populations sénégalaises qui ont suivi leurs actes d’un passé récent ne leur permettraient pas de prendre en ce label que, mort, je porte avec munificence, selon les indiscrétions de quelques anges. Tous craignent même que, furieux, certains d’entre vous ne pourriez retenir vos huées en direction des usurpateurs en puissance, voire qu’ils puissent être la cible de vos débordements malheureux, s’ils tentent de matérialiser leur funeste rêve...
(adsbygoogle = window.adsbygoogle || []).push({}); Maintenant que j’ai fermé la page des banalités de la vie terrestre, je rigole de ce que le pestiféré que j’étais, de mon vivant, soit devenu une icône nationale, au point d’être célébré par tous, à commencer par ceux qui, il n’y a guère, me houspillaient ou organisaient les orgies d’insultes, de répondeurs patentés, en ma direction. 
J’entends même des voix s’élever pour demander si je n’ai pas été...marabouté, empoisonné, bref si je n’ai pas été la victime de quelque complot ourdi par ceux, nombreux, dont le rêve le plus cher était de me voir...dégager. 
Oh, je sais, je sais: je n’ai pas toujours été accommodant. Trop de fois, j’ai été l’empêcheur de tourner en rond. Mon verbe, trop cru, notamment sur les plateformes des moyens de communication de masse que j’avais fondés, n’était pas toujours bien reçu. En une ère où compromis et compromissions conduisent des gens, longtemps restés droits dans leurs bottes, à bifurquer de leur chemin pour aller au banquet, à la soupe, mes valeurs m’ont toujours soufflé qu’il ne fallait pas vendre son âme. Pour rien au monde.
Je suis donc resté intraitable. C’est dire, en un mot, que ma mort arrange beaucoup de gens. Sans doute, n’osent-ils pas le montrer en public mais qui sait ? Ils ont probablement esquissé quelques pas de danse en mode célébration du départ d’un fauteur de troubles. Leur joie à peine contenue s’explique. Sachant que dans environ trois mois, lors d’une élection présidentielle aussi incertaine que décisive, j’aurais été un poison bruyant et mortel, intransigeant, capable de mobiliser tous les protestataires contre les manigances électorales que d’ici je vois se préparer au risque de mettre le feu sur la poudrière que notre pays est devenue. 
L’extase de ceux qui me préfèrent là-haut qu’au milieu des débats politiques autour de l’élection présidentielle est si profonde qu’elle perce derrière les discours élogieux qu’en public ils servent à mon endroit. 
Cela dit, dans l’atmosphère triste, authentiquement triste, que ma brutale disparition cause auprès de l’immense majorité des sénégalais, je trouve vraiment le réconfort d’avoir été utile quand j’ai passé le plus clair de mes 68 ans d’existence terrestre en leur sein. En y pensant, j’espère que cette partie, positive, de mon bilan sera rémunérée à sa juste valeur par mon Seigneur. Je le sais: il a toujours recommandé que ses disciples se consacrent à des combats nobles au service de l’intérêt général, de la démocratie, de la vérité. En plus de lui être dévoué, par une pratique religieuse. J’ai donné modestement ma part sur ces différents fronts.
(adsbygoogle = window.adsbygoogle || []).push({}); En quittant cette vallée des larmes, je savais cependant que beaucoup de problèmes restaient à résoudre et que la société sénégalaise, fracturée, n’était pas sortie de l’auberge. Pauvreté, mal-gouvernance, corruption, insécurité, tensions sociales, domination étrangère, endettement public, bradage des ressources naturelles du pays, ou encore déficit d’infrastructures les plus critiques en matière de santé, d’école, de routes, et j’en passe, ont fini par éloigner des sentiers vertueux ce pays qui me fut si cher ma vie durant. Quand l’Ange Gabriel (Djibril, l’Ange Azrafi-Malakal-Mawti, chez les wolofs), envoyé du ciel est venu sonner à mon chevet pour me signifier l’heure fatidique, j’avais le sentiment de quitter trop tôt alors que tous les combats méritaient non pas d’être abandonnés mais intensifiés. C’est, de fait, une crise systémique sans précédent par son ampleur qui frappe notre pays. Ses valeurs immatérielles se sont aussi étiolées. Sa base sociale s’est effondrée.
Et, bien évidemment, je n’ai pas besoin de vous donner la dernière preuve qui en est la plus poignante illustration: sur mon corps, se chamaillant comme des chiffonniers, pour-je-ne-sais quelles raisons, ou que je devine trop pour m’y appesantir, des membres de ma famille se donnent en spectacle devant leurs compatriotes sonnés et médusés. Sous leurs yeux, ce qui était parti pour être un grand moment de retrouvailles et de réconciliation, de sobre réflexion sur le sens de la vie, n’est plus la belle saga que l’unanimisme autour de ma dépouille avait provoqué. Ce n’est plus qu’un vaudeville, forcément émergent, qu’elle devient.
Je n’aurais pas aimé voir d’ici ma famille s’étriper, se donner en spectacle, devenir, en somme, la dernière variante des tourments qui agitent les foyers sénégalais, hier socles de la socialisation initiale, et, maintenant rings publics, dès qu’il s’agit de liquider héritages et cérémonies post-mortem, en leur sein. Je ne peux d’ici trancher mon cas. Cela ajouterait à la confusion ambiante. Je me permets simplement d’en appeler à toutes les parties prenantes pour qu’elles fassent preuve de retenue, sérénité, respect des principes religieux et sociaux supérieurs. Je sais qu’il y a beaucoup de sénégalais, dont des autorités publiques et religieuses, offusqués par cette pitoyable scène qui se joue alors même que je reste encore dans la glace, attendant d’être livré à mon Seigneur. J’attends de tous, et des premiers concernés, membres de ma famille, qu’ils œuvrent à trouver le bon compromis, sans humilier ni écraser qui que ce soit...
Je forme un vœu: aujourd’hui, vendredi, grand jour du Seigneur, dans ma religion, c’est l’occasion de taire les rancœurs et donner droit à ce qui est juste. Faites-le au nom de Dieu; faites-le pour tous les sénégalais qui ont compati à l’annonce de mon décès; faites-le en hommage au long combat de ma vie terrestre; faites-le parce que l’explosion des bisbilles autour de mon nom envoie un message contraire à celui qui, d’ici, me tient à cœur. Je veux que mes compatriotes gardent de mon passage sur terre le souvenir d’un homme qui, en être faillible, a tenté tout ce qu’il pouvait, par soumission à son Seigneur, pour faire avancer les causes qui lui paraissaient justes.
En état d’être retourné à mon Dieu, vers la vraie demeure d’où je venais, celui d’où nous venons tous, je reste, impuissant, entre les mains de ceux que j’ai laissés sur terre, sachant toutefois que l’Etre fondamental ne dort pas.
Il tranchera. Et tout rentrera dans l’ordre!


Priez pour moi.
Je crois aux forces de l’esprit. 
Nous resterons en contact.
Dans ma tombe, j’ai plus que jamais le Sénégal à...cœur!
Jummah Mubarak !

SLN, message posthume...