Ngane, la vie sans imam Ndao

SOCIETE
Lundi 30 Juillet 2018

A l’absence du fondateur, le temps n’a pas suspendu son vol à Ngane. Mais la vie a été très difficile pour les disciples de l’imam Alioune BadaraNdao


Jour ordinaire à Ngane. Au fief de l’imam Alioune Badara Ndao, 48 heures après l’effervescence de l’accueil, l’ambiance est calme. En ce mercredi 25 juillet, la cour est quasi désertique. Sous l’ombre d’un arbre de taille moindre, un groupe d’une dizaine de personnes discutent à voix basse. Il s’agit de la commission qui a assuré la continuité de la gestion durant les presque 3 ans de détention de l’imam. A la véranda de la mosquée, une autre assemblée de gens qui, apparemment, assistent à une causerie religieuse. Derrière l’école et les logements, des enfants jouent au football. Il est 17h passées de quelques minutes. Le maître des lieux lui se repose dans sa maison en face et continue de recevoir ses hôtes qui arrivent à compte-gouttes. Il s’agit d’individus qui essentiellement viennent exprimer leur soulagement et/ou solliciter des prières. Ngane est une localité située à l’extrême ouest de la ville de Kaolack.

Il a été fondé dans les années 1997-98 par Imam Ndao. Durant un peu moins de 20 ans, la vie a tourné autour du guide spirituel. Se pose alors la question de savoir ce qu’était le quartier sans son fondateur. A cette interrogation surgissent tous les mauvais souvenirs encore trop frais dans les mémoires pour être diffus. “Il y a eu un très grand vide, ça a été très difficile. Mais on s’est toujours confiés à Dieu’’, répond Abdoulaye Ndao, frère de l’Imam, entouré des membres de la commission. Tous ont le visage sérieux. Des moments de solitude, ils l’ont vécu dans leur chair. “Il fut un temps, il fallait du courage pour venir ici. Il suffit simplement de dire : je vais à Ngane, pour attirer les regards’’, se rappelle Abdoulaye Ndao.

Malgré tout, le frère de l’Imam se réjouit du fait que les Sénégalais en général, les Kaolackois en particulier, n’ont jamais lâché leur compatriote et voisin. D’après lui, des personnes continuaient à se rendre sur les lieux pour apporter leur soutien, qu’il soit matériel ou moral. Ceux qui avaient fait confiance à l’Educateur en lui confiant leurs enfants ne l’ont jamais retirée. Une attitude qui a aidé ses partisans à mieux supporter l’épreuve. “Les gens ne nous ont jamais fui quand on a été accusés d’anthropophagie (sic)’’, peste-t-il, sous le regard complice de l’assistance.

Par contre, les partisans de l’imam, sur les conseils de ce dernier, s’étaient un peu refermés sur eux-mêmes, par mesure de prudence, dit-on. En fait, avant les évè- nements, la porte était ouverte à tout un chacun. Il suffisait de manifester sa volonté d’apprendre sa religion pour être intégré. Mais après “la grosse accusation’’, les règles ont changé. Des mesures conservatoires ont été prises pour se protéger “des ennemis de l’Islam’’. “On avait décidé de ne plus accepter les adultes. Il y a des gens qui prennent prétexte des études, mais qui ont d’autres visées. Je pense qu’il y a eu des individus envoyés ici et qui ont donné de fausses informations. Or, comme le dit l’adage : chat échaudé craint l’eau froide’’, résume Abdoulaye Ndao. En d’autres termes, seuls les enfants qui présentaient peu de risque à leurs yeux ont été acceptés. A Ngane, il y a entre 450 et 500 âmes qui y vivent, donc autant de bouches à nourrir. Par conséquent, il ne suffit pas d’avoir de la foi pour vivre, il faut aussi trouver de quoi se mettre sous la dent. Sur ce point, il n’y a jamais eu d’inquiétude, assure Abdoulaye Ndao. Certes, l’imam est au centre des activités, mais côté organisationnel, il y a un dispositif qui existait bien avant l’arrestation du maître des lieux.

“Même quand Imam était là, la gestion était assurée par la commission. Tout s’est bien passé, puisque les tâches sont réparties. Il y en a qui sont dans l’enseignement, d’autres dans des activités productives et un groupe chargé de l’entretien.’’ Besoin de communiquer En fait, si l’on en croit le frère de l’Imam, Ngane a trois sources de financement. D’abord l’agriculture au sens large du terme (travaux champêtres, cultures maraîchères, élevage), ensuite les revenus de l’internat et enfin les dons.

“Nous produisons du mil, de l’arachide, du manioc, du melon. Nous faisons du maraîchage et de la culture fruitière, essentiellement de la mangue, de la goyave, du citron et de l’acajou. Une bonne partie des produits vendus sur le marché provenait de nos exploitations’’, précise cet interlocuteur. Il reconnaît tout même qu’avec l’arrestation de l’imam, la production a chuté du fait que les responsables étaient occupés à être à son chevet. Ils n’avaient donc plus le temps de suivre les travaux comme il se devait. Malgré tout, les activités se sont poursuivies, assure-t-on.

En guise de preuve, on montre les quelques canards qui traînent ainsi que les moutons à l’arrière-plan. “Il y a les oies qui sont de l’autre côté. Vous pouvez aller voir’’, ajoute un autre jusqu’ici attentif au débat. Quant à l’internat, les enfants payent 21 000 F par mois. A travers les attitudes, l’on sent qu’on veut montrer que tout se passe ici de manière licite, contrairement à ce qu’ont voulu faire croire certains avec l’arrestation musclée de l’imam et son procès. La demande d’interview formulée par EnQuête est acceptée sur-le-champ, sans aucune forme de protocole.

“Vous pouvez prendre votre bloc note et poser vos questions’’, déclare un Abdoulaye Ndao décontracté. Et il ne sera pas le seul à prendre la parole. A chaque fois qu’il oublie un point, il y a quelqu’un pour le lui rappeler. Parmi eux, une femme, professeur de maths. Elle porte un hijab qui lui couvre tout le corps, à l’exception du visage et des mains. Elle doit être à la trésorerie de la communauté, puisqu’elle a été désignée pour répondre du budget mensuel. Mais elle a préféré ne pas s’exprimer sur ce point.

“C’est imam lui-même qui s’occupait de cette question. Nous n’avons fait qu’assurer l’intérim. Donc, vous comprenez bien qu’on ne puisse pas nous avancer sur ce sujet. C’est à lui de le faire ou non’’, décline-t-elle gentiment.

A Ngane, maintenant que tout est bien fini, on espère que ce procès sera un mal pour un bien, un évènement qui renforcera l’aura de l’Islam et de l’imam Ndao. En attendant, c’est le retour à ce qu’on croit savoir faire le mieux : enseigner la religion et cultiver son lopin de terre.