Pr Babacar Kanté : «Aucune loi ne peut garantir l’indépendance d’un juge quand il ne veut pas l’être»

JUSTICE
Samedi 27 Juillet 2019

Critiqué souvent et incompris sur bien nombre de ses décisions, le Conseil constitutionnel a convié des journalistes à Saly Portudal pour les imprégner de ses missions, de son champ d’actions, de ses performances et de ses limites objectives, mais aussi de l’indépendance de ses membres. Une occasion pour le Pr Babacar Kanté de démolir cette vision et surtout d’amener les juges à prendre leurs responsabilités.


Il ne s’agit point d’un exercice de justification a, d’emblée, précisé le professeur Ndiaw Diouf, vice-président du Conseil constitutionnel. Mais cette haute juridiction veut redorer son blason souvent terni par une bonne partie de l’opinion. A la lumière des interventions faites par le professeur Babacar Kanté, constitutionnaliste de renom, Ndiaw Diouf, privatiste reconnu, Madieya Diallo, magistrat et directeur de cabinet du Président du Conseil constitutionnel et Adama Traoré magistrat, il ressort que le Conseil constitutionnel est confiné dans un cadre qui ne lui offre aucune possibilité d’interpréter la loi. Sa mission régalienne consiste à vérifier la conformité des lois par rapport à la Constitution. Ce qui écarte de son champ d’action plusieurs autres activités. «Plus de 60 % des saisines du Conseil sont liées au processus électoral.


Je n’ai jamais vu un homme politique saisir le Conseil sur des questions de société comme l’homosexualité, le code de la famille, etc.», se désole Pr Kanté qui subodore la mauvaise foi des politiques. «Sur l’essentiel des saisines, leurs avocats savent la réponse. J’aurais été avocat, vous me payeriez un milliard, je dis que je ne déposerai pas de tels recours. Ils savent tous que le Conseil va se déclarer incompétent si tu lui demandes de se prononcer sur un décret ou un arrêté interdisant les marches comme le fameux arrêté Ousmane Ngom. Je ne suis pas là pour me battre pour eux», a martelé le membre de la Commission politique du Dialogue national.

Ancien membre du Conseil constitutionnel ayant bouclé un mandat de six ans, il a indiqué que le juge constitutionnel ne doit plus se cacher derrière l’obligation de réserve. «Notre rôle, c’est d’être le rempart contre le recours à l’arbitraire. On a l’impression que dès lors qu’on est nommé par le président de la République, on n’est pas indépendant. D’abord ce n’est pas vrai. Et j’en suis un exemple vivant. Je peux vous jurer que je n’ai jamais rencontré le président de la République Abdoulaye Wade avant ma nomination.


Il ne me connait pas, je ne le connais pas. J’ai fait 6 ans, je n’ai jamais, jamais, jamais reçu un appel téléphonique d’aucune autorité politique de ce pays. Et pourtant, il n’y avait que d’anciens étudiants qui étaient autour du Président», soutient-il. «J’ai fait 6 ans, jamais le Conseil n’a été saisi du Budget de l’Etat. Est-ce que quelqu’un peut me dire s’il y a un acte plus important? Je voudrai commencer par distinguer l’indépendance de la juridiction et celle du juge. Aux Etats Unis, c’est le Président qui nomme tous les membres. La seule différence entre les Etats Unis et nous, c’est qu’au Sénégal quand vous êtes nommé, on va essayer de voir si au lycée vous avez été membre du PS ou du PDS? Est-ce que le cousin de la sœur de la tante de votre grand père n’a pas de lien avec le président de la République ? Aux Etats Unis, la seule question est de savoir s’il est conservateur ou progressiste? Autrement dit, est-ce que sur les lois sur l’homosexualité, l’avortement, il va voter pour ou contre? La nomination n’est pas un facteur qui puisse jouer sur l’indépendance ou non. En réalité, l’indépendance du juge est une indépendance fondée sur son éthique, sa morale, ses vertus, ses qualités personnelles. Aucune loi ne peut garantir l’indépendance d’un juge, quand il ne veut pas l’être.


Pour ma part, je suis totalement révolté parce que la justice constitutionnelle n’est pas là encore une fois pour déclarer qui est proclamé élu. Il est fondamentalement là pour défendre les droits fondamentaux. C’est fondamentalement parce que les individus ne peuvent pas saisir directement le Conseil constitutionnel. Celui-ci ne peut être saisi que par cinq autorités, en matière de contentieux constitutionnel. Il s’agit du Président de la République, du Premier ministre, de l’Assemblée nationale, de 1/10 des députés et parfois du ministre. En plus, il y a la Cour d’appel et la Cour suprême, en cas d’exception d’inconstitutionnalité », explique-t-il.