Le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a rompu le silence, ce vendredi, à l’Assemblée nationale, sur la crise politique en Guinée-Bissau. Interpellé lors de la séance de questions d’actualité, le chef du Gouvernement a livré une lecture très tranchée des événements survenus à Bissau après l’arrestation du président Umaro Sissoco Embaló par des militaires et la suspension du processus électoral.
« Tout le monde sait que ce qui se passe en Guinée-Bissau est une combine sans aucune base légale », a déclaré Ousmane Sonko, cité par BBC News Afrique, sans toutefois fournir d’éléments de preuve étayant ses propos. Il s’exprimait en wolof devant les députés, au lendemain de l’annonce de l’arrivée au Sénégal du président déchu bissau-guinéen. Une crise électorale au cœur des critiques de Sonko Pour le Premier ministre, le cœur du problème se situe dans l’interruption du processus électoral. Les militaires ont en effet annoncé avoir pris « le contrôle total du pays », arrêté le chef de l’État et suspendu le scrutin alors que les résultats de la présidentielle et des législatives de dimanche dernier étaient toujours attendus.
Sonko appelle à un retour à l’ordre constitutionnel par la voie des urnes. Il a exhorté à « la poursuite du processus électoral et à la publication des résultats des élections en Guinée-Bissau », demandant que la commission électorale « dise celui qui a gagné ».
Cette prise de position tranche avec la prudence généralement observée par les exécutifs de la région en période de crise institutionnelle. Elle s’inscrit toutefois dans la continuité du discours critique que Sonko tient depuis plusieurs années vis-à-vis de certains mécanismes de la CEDEAO, qu’il accuse souvent de manquer d’impartialité dans la gestion des crises politiques ou électorales. Plaidoyer pour la libération de Domingos Simões Pereira Le Premier ministre a également mis en avant la situation de l’opposant Domingos Simões Pereira, figure centrale de la vie politique bissau-guinéenne. Écarté de la présidentielle de dimanche, ce dernier a été arrêté par des hommes armés en plein chaos politique, en même temps que d’autres responsables, puis conduit sur une base militaire, selon plusieurs sources médiatiques et diplomatiques.
« Nous appelons à la libération de Domingos Simões Pereira, qui n’était même pas candidat mais qui a été arrêté et privé de ses médicaments », a insisté Sonko devant les députés.
En mentionnant explicitement la privation d’accès aux soins, le chef du Gouvernement sénégalais place la dimension des droits humains au cœur de son argumentaire, au-delà du seul débat institutionnel sur la régularité du processus électoral. Une sortie très politique depuis l’hémicycle La forme compte autant que le fond : ces déclarations ont été faites depuis l’Assemblée nationale, dans un cadre solennel de contrôle de l’action gouvernementale.
Sonko y a articulé trois messages principaux : délégitimation de la séquence en cours en Guinée-Bissau, qualifiée de « combine » sans base légale ; appel à la reprise et à l’achèvement du processus électoral interrompu ; exigence de libération des opposants arrêtés, en particulier Domingos Simões Pereira. Interrogé sur son appréciation générale de la situation, le Premier ministre a aussi glissé une phrase lourde de sous-entendus : « Pour ce qui est de la CEDEAO, vous savez ce que j’en pense. » Une manière de réactiver ses critiques récurrentes à l’égard de l’organisation sous-régionale, accusée par de nombreux acteurs politiques de manquer de cohérence et de fermeté selon les pays et les dirigeants concernés. Des propos qui résonnent au-delà de Dakar et Bissau Ces déclarations risquent d’avoir plusieurs répercussions : Sur le plan diplomatique, elles placent officiellement le Sénégal – par la voix de son Premier ministre – dans une posture de défiance vis-à-vis de la séquence en cours à Bissau, au moment même où la communauté internationale reste prudente dans ses caractérisations (coup d’État, auto-coup ou autre). Sur le plan régional, elles renforcent le discours critique déjà porté par certains parlementaires et acteurs de la société civile de la CEDEAO, qui dénoncent un traitement jugé complaisant de certaines crises institutionnelles dans l’espace communautaire. Sur le plan interne, enfin, cette prise de position conforte l’image d’un Ousmane Sonko fidèle à sa ligne : défense de processus électoraux jugés transparents, refus des « arrangements de palais » et sensibilité marquée aux cas de leaders d’opposition poursuivis ou détenus. Alors que la Guinée-Bissau s’enfonce dans une nouvelle crise politico-militaire et que les résultats du scrutin restent suspendus, la sortie du Premier ministre sénégalais ajoute une voix dissonante au concert diplomatique. Reste à voir comment Bissau, la CEDEAO et les partenaires internationaux réagiront à ces propos qui, au-delà de la solidarité affichée avec l’opposition bissau-guinéenne, interrogent la manière dont la région accepte – ou non – la remise en cause des règles du jeu démocratique.