Subventions, retards, rames HS… Le TER du Sénégal risque-t-il de ralentir ?

POLITIQUE
Mardi 18 Novembre 2025

Conçu comme un symbole de la modernité de Dakar, le Train express régional traverse une zone de turbulences. Entre arriérés de paiement, retards de chantier et crise budgétaire, le fleuron du Plan Sénégal émergent de Macky Sall paye aujourd’hui le prix d’une conjoncture tendue.


À la gare de Dakar, les rames du Train express régional (TER), premier du genre en Afrique de l’Ouest, s’élancent toutes les dix minutes et transportent chaque jour près de 80 000 voyageurs. Fonctionnaires, étudiants et commerçants saluent un gain de temps considérable et un confort inédit pour le Sénégal. « Avant, je mettais deux heures pour aller à Dakar, aujourd’hui je mets à peine une demi-heure, et je trouve que le service est très bon », explique Awa, enseignante à Rufisque. Pour les pouvoirs publics, le TER est bien plus qu’un simple train : c’est le fer de lance du désenclavement de Dakar, un outil d’urbanisme et de développement économique, en particulier pour la ville nouvelle de Diamniadio – grand projet de l’ex-président Macky Sall pour désengorger la capitale et mettre en avant la modernité pour le Sénégal.

« Les retours des usagers sur la phase 1 sont très positifs », confirme Latyr Niang, directeur des grands travaux à l’Agence pour la promotion de l’investissement et des grands travaux (Apix), chargée de la mise en œuvre du projet. Cependant, le coût global de cette première phase entre Dakar et Diamniadio atteint 788 milliards de F CFA (plus de 1,2 milliard d’euros) hors taxes, bien au-delà du budget initial de 568 milliards.

Une équation financière délicate

Derrière cette réussite technique et populaire, le TER fait face à une équation financière délicate. Les recettes de billetterie restent très inférieures aux coûts d’exploitation et de maintenance. Pour conserver des tarifs abordables – entre 500 et 1 500 F CFA le trajet –, l’État subventionne massivement le service. « Sans subvention, pour couvrir les charges, il faudrait doubler les prix », confie un responsable des opérations. Dans un contexte de tension sociale et de hausse du coût de la vie, une telle augmentation des tarifs est impensable, d’autant que le projet a été conçu pour être accessible au plus grand nombre. Mais, avec un déficit budgétaire avoisinant les 14 % et une dette publique représentant près de 119 % du PIB, l’État a du mal à suivre, et les retards de paiement accumulés ces derniers mois ont provoqué des crispations parmi les sous-traitants et les fournisseurs.

« Le train n’est pas une voiture, résume Latyr Niang. Il faut anticiper chaque panne et disposer d’une subvention régulière de l’État pour la maintenance courante et lourde. Quand l’État tarde à payer, le système se dégrade et les rames s’usent plus vite. » En l’occurrence, sur les 22 rames initialement livrées, cinq sont aujourd’hui hors service et, pour compenser, les rames qui devaient être utilisées pour la phase 2 ont été mobilisées. Conçu pour être un produit dernier cri, le train paye parfois les conséquences de ce choix politique. Ainsi, faire venir les pièces coûte cher et, compte tenu du climat tropical, le matériel s’use plus rapidement au Sénégal qu’en Europe.

Quand les nouveaux tronçons seront-ils opérationnels ?
Avec l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko, les priorités ont changé. Le nouvel exécutif, soucieux de réduire la dette et de renégocier les programmes avec le FMI, a gelé les décaissements au premier semestre 2025. Résultat : le TER, projet phare du Plan Sénégal émergent (PSE), se retrouve pris dans un véritable « capability trap », selon Latyr Niang. Ce « piège de capacité » signifie que les résultats à court terme sont privilégiés au détriment du long terme, ce qui fait courir le risque d’un déclin progressif de la performance. Le chantier de la phase 2, qui reliera Diamniadio à l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD) via la gare de Sébikotane, a été marqué par une succession d’arrêts et de reprises.

La mobilisation tardive des ressources externes et les retards dans le règlement des factures ont conduit à une démobilisation partielle des prestataires et à des surcoûts importants. Selon un proche du dossier, « les arriérés de paiement de la phase 1 [réclamations, avenants et reliquats de TVA] s’élèvent à environ 150 millions d’euros et impactent directement les prestataires comme Eiffage ou Equans-Hitachi-Thalès. Cela a provoqué des retards dans la phase 2 car les entreprises ont refusé de poursuivre certaines prestations sans règlement préalable ». Une partie des paiements effectués depuis juin 2025 sur la phase 2 ont permis un redémarrage, mais le système reste vulnérable.

« Nous avons terminé l’ensemble des travaux de voie, laquelle a été réceptionnée en janvier, et nous commençons les essais d’intégration, précise Latyr Niang. Le train circulera à 30 km/h lors des premières phases. Nous aurions pu mettre le service en exploitation dès août 2025, mais les problèmes financiers ont retardé son démarrage. » Désormais, il est prévu que ce tronçon soit opérationnel dans le courant du premier semestre 2026. Un délai difficilement tenable, estiment plusieurs sources. La question est surtout de savoir si tout sera prêt pour les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ), « Dakar 2026 », que le pays doit accueillir du 31 octobre au 13 novembre 2026.

Des problématiques liées à la sécurité devraient ralentir la mise en service effective. Quant à la phase 3, qui doit prolonger la ligne au-delà de l’AIBD, elle est pour l’instant à l’étude. « Nous avons mandaté Systra [bureau d’études français] pour faire des études d’opportunités afin de définir les tracés principaux. Pour l’instant, rien n’a encore été décidé », assure Latyr Niang. Deux options sont envisagées : Thiès, qui pourrait constituer une étape vers Tambacounda et Bamako, et Mbour, qui offrirait une connexion plus directe avec le futur port de Ndayane.

Montage complexe entre Apix, Senter et Seter
Mais au-delà des tracés, la question centrale est celle du financement. L’État et la Société nationale de gestion du patrimoine du Train express régional (Senter) explorent plusieurs mécanismes, notamment la mobilisation d’investisseurs privés. « Le nerf de la guerre, c’est d’intéresser le privé », souligne Cheikh Ibrahima Ndiaye, directeur général de la Senter. Aujourd’hui, l’État n’a plus la marge de manœuvre suffisante pour financer seul un projet de cette ampleur. »

L’enjeu financier est colossal : plus de 1,5 milliard de dollars pour le tronçon Dakar-Thiès, plus de 5 milliards de dollars pour un éventuel corridor Dakar-Bamako, avec, parmi les types de financement envisagés, un partenariat public-privé (PPP) impliquant, entre autres, des consortiums minier et ferroviaire.

« C’est un projet fantasmé, ils n’en ont pas les moyens, estime un interlocuteur au sein d’une entreprise française. Sonko veut son projet, mais il ne veut pas augmenter la dette. Le paradoxe est là. » Meridiam et plusieurs autres groupes français sont sur les rangs, des discussions ont également été lancées avec l’Agence française de développement (AFD), et la Chine, ainsi que d’autres partenaires internationaux suivent le dossier.