Tounkara, qu'est-ce qui a changé ?

TRIBUNE LIBRE
Dimanche 6 Janvier 2019


Par Bossé Ndoye

La nomination de Mamadou Sy Tounkara en tant que conseiller spécial du Président de la République du Sénégal, à moins de deux mois de l’élection présidentielle, en a étonné plus d’un. L’information a tellement paru invraisemblable qu’il a fallu parcourir les sites Internet pour en avoir le cœur net. Mais le silence de la présidence et celui de l’animateur de l’émission Xel ak Xol ont fini par convaincre les sceptiques. Dès lors une seule question taraude les esprits : «qu’est-ce qui a changé dans la relation qu’entretenaient ces derniers» ?
En essayant d’y réfléchir, le combat politique de Cheikh Anta Diop m’est revenu en mémoire. Qui saurait oublier les nombreux postes importants et avantages qui lui avaient été proposés de son vivant? Le natif de Céytu restait cependant toujours droit dans ses bottes et ses convictions. Il les déclinait sans hésiter pour éviter de tomber dans quelque compromission avec le gouvernement de Senghor tant et aussi longtemps que ce qu’il lui reprochait n’avait pas changé. Si l’enseignement de ses œuvres dans nos écoles est très réclamé, il ne faudrait pas moins insister sur son comportement.

En ces moments où les individus versent dans le reniement facile, avalent leurs vomissures, pour se mettre au banquet du pouvoir, jamais le pays n’a eu autant besoin d’avoir des références qui inspirent son peuple. Surtout pendant cette période où la transhumance et le wax-waxeet sont devenus fréquents et banalisés. Pour ce qui est de la nomination de Tounkara, bien que lui seul puisse donner les raisons ayant motivé son choix, nous sommes en droit de nous poser certaines questions. D’autant qu’il a été, ces dernières années, très critique vis-à-vis du gouvernement en place. Qui plus est, les pratiques pour lesquelles il était souvent en porte-à-faux avec lui n’ont guère changé. Dans ses critiques habituelles, il allait jusqu’à corriger certaines « fautes » de grammaire ou de syntaxe – réelles ou supposées – dans le discours présidentiel, fussent-elles vénielles. Son souci de faire bouger les choses l’avait même poussé à se présenter aux dernières élections législatives.
Dès lors, son ralliement au gouvernement – si c’est avéré – me rend encore plus méfiant de ceux que l’on a souvent présentés comme des clercs dans le pays- pour reprendre le mot de Julien Benda. Les discours d’opposant d’Abdou Latif Coulibaly, celui d’Ismaila Madior Fall et de Souleymane Jules Diop entre autres sont encore frais dans nos mémoires. Pourtant depuis qu’ils sont du côté du pouvoir, ils se taisent sur nombre de choses qu’ils étaient prompts à dénoncer avant leur nomination. Sera-ce le cas pour Tounkara ? L’avenir nous le dira. Ce qui est sûr c’est qu’un ministre ou autre proche collaborateur du président « ça ferme sa gueule ou ça démissionne ».

Dès lors certaines nominations sont de véritables étouffoirs entraînant la perte de sa liberté de parole et de pensée et poussant même à l’autocensure. D’autant que l’équipe gouvernementale a adopté comme stratégie l’effacement des énoncés plutôt que la résolution des problèmes. Emprisonnement, exil, « débauchage », filtrage de candidatures font entre autres partie de ses techniques. Par conséquent un critique de moins dans le camp de l’opposition fera bien son affaire à l’approche des prochaines élections. Est-ce à dire pour autant que quand on est opposé à son gouvernement qu’il faudrait refuser de l’intégrer et/ou de travailler pour lui ? Non évidemment. Tout bon citoyen doit œuvrer dans le sens de l’avancement de son pays. De plus, il est beaucoup plus facile de se cacher derrières ses critiques que de se confronter aux dures réalités du terrain. Cependant, il faut une certaine cohérence puisqu’il y a une réelle contradiction à intégrer une équipe qu’on a souvent critiquée alors que les raisons ayant occasionné les critiques demeurent encore.
En tout état de cause, c’est toujours le peuple qui sort perdant des compromissions entre opposants et gouvernants. Mais opportunité lui sera bientôt donnée pour qu’il choisisse son camp. Cette pensée de Cheikh Aliou Ndao tirée de Mbaam dictateur doit toujours nous faire réfléchir : « Il n’y a pire qu’une époque trahie par ses intellectuels. Ayant eu la chance de posséder un esprit éclairé par le savoir, leurs compatriotes ne s’attendent pas à ce qu’ils abandonnent la voie de la vérité. »