UCAD : bourses en retard, gaz lacrymogènes et campus sous tension

SOCIETE
Jeudi 4 Décembre 2025

Depuis la mi-novembre, l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) est redevenue l’épicentre de la colère étudiante au Sénégal. Ce qui avait commencé comme un mouvement de protestation contre le retard dans le paiement des bourses s’est transformé, en quelques jours, en crise ouverte mêlant affrontements violents, intervention des forces de l’ordre sur le campus et accusations de remise en cause des franchises universitaires. Une crise des bourses qui explose À l’origine, la revendication est claire : le versement des bourses, notamment celles des étudiants en master, accusant plusieurs mois de retard. Des sit-in et des blocages sont organisés à partir du 17 novembre, les étudiants érigeant des barricades et paralysant les accès à l’université pour faire pression sur les autorités.
Malgré un communiqué de la Direction des bourses assurant que les allocations des mois d’octobre et novembre 2025 seraient payées, et promettant un rattrapage pour les retardataires, la confiance ne revient pas. Les étudiants dénoncent des promesses répétées, jamais tenues, et pointent des arriérés qui, selon certains, remonteraient à plus d’une année pour une partie d’entre eux. L’entrée des forces de l’ordre sur le campus Face à la dégradation de la situation, le Conseil académique de l’UCAD franchit un cap : il autorise formellement le recours aux forces de l’ordre pour sécuriser le campus pédagogique, en s’appuyant sur la loi de 1994 relative aux franchises et libertés universitaires.
Dans les jours qui suivent, les affrontements se multiplient. Gaz lacrymogènes contre jets de pierres, rues barricadées, bâtiments transformés en refuges de fortune : plusieurs sources font état de nombreux blessés, aussi bien parmi les étudiants que dans les rangs des forces de sécurité.
Le basculement le plus spectaculaire se produit lorsque les forces de l’ordre pénètrent dans le campus social : des témoignages évoquent des tirs de grenades lacrymogènes jusque dans les chambres d’étudiants, plongeant la cité universitaire dans un climat de panique et de chaos. Franchises universitaires et colère symbolique L’intervention des forces de sécurité à l’intérieur même du campus, longtemps perçu comme un espace protégé par la « franchise universitaire », a une portée symbolique forte. Des enseignants, des syndicats et des organisations étudiantes dénoncent une « militarisation » de l’espace universitaire et une dérive sécuritaire face à ce qui demeure, au fond, un conflit social autour des bourses et des conditions de vie.
Pour beaucoup, cette crise s’inscrit dans une histoire longue de violences à l’UCAD : morts d’étudiants dans les années précédentes, affrontements récurrents, fermetures prolongées du campus, retards chroniques de bourses et infrastructures saturées. Un dossier explosif pour le nouveau pouvoir La tension à l’UCAD intervient dans un contexte politique particulier : le nouveau pouvoir issu de l’alternance du 24 mars 2024 est arrivé avec un discours de rupture, de justice sociale et de réorientation des priorités budgétaires vers l’éducation et la jeunesse.
Or, la crise des bourses cristallise aujourd’hui une double frustration : celle d’étudiants qui peinent à vivre et à étudier sans leurs allocations, et celle d’une partie de la base du régime, qui reproche au gouvernement de tarder à traduire ses promesses en actes. Sur les réseaux sociaux, certains militants ciblent directement le président Bassirou Diomaye Faye, présenté comme le « bouc émissaire » d’un système budgétaire exsangue, pris entre héritage de la dette et attentes sociales immenses.
À court terme, la sortie de crise passera par un élément simple, mais décisif : le paiement effectif des bourses dues et un calendrier crédible pour éviter de nouveaux retards. Sans cela, toute tentative de médiation risque de rester lettre morte.
À moyen terme, la situation à l’UCAD pose des questions plus profondes sur le modèle universitaire sénégalais : massification sans moyens suffisants, dépendance structurelle aux bourses pour la survie des étudiants, recours récurrent à la force là où le dialogue et la planification budgétaire devraient primer.
La crise actuelle rappelle une évidence : tant que l’université restera le lieu où se concentrent à la fois la précarité économique, les frustrations politiques et l’absence de perspectives claires pour la jeunesse, l’UCAD continuera d’être un baromètre – parfois explosif – de la situation du pays tout entier.