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LA RÉPUBLIQUE DÉSACRALISÉE

POLITIQUE
Dimanche 10 Juin 2018

La condamnation des étudiants apéristes Biram Ndong, Ndiogou Thiaw et Cheikhou Khadim Niang à 15 jours de prison ferme mardi dernier par la justice pour avoir escaladé le mur du Palais de la République avant d’affronter les gendarmes est jugée très légère. Ces étudiants désiraient participer à la rencontre au Palais entre le chef de l’Etat et le Mouvement des élèves et étudiants apéristes (MEEL). Ils ont été condamnés pour outrage à agent, rébellion, violences et voie de faits. La récurrence de la violation de la sacralité du Palais de la République pose un débat sérieux. Sous quelle République vivons-nous ? A vrai dire, c’est une question itérative que l’on se pose depuis que le président Abdoulaye Wade, durant tout son magistère, a transformé le palais présidentiel en marché Sandaga où un laisser-aller indescriptible prévaut. L’image du Palais et, par-delà, celle de la fonction présidentielle est en train de connaître une dangereuse dévaluation depuis 2000. Une série de phénomènes témoignant de l’irrespect dudit lieu et de l’institution présidentielle y concourent. Florilège.


Par Serigne Saliou Guèye

Le 30 avril 2010, la ministre d’Etat Awa Ndiaye a été giflée par Aminata Tall au Palais de la République après qu’elle a tenu des propos désobligeants à l’endroit de l’alors Secrétaire générale de la présidence. Pour sanctionner cet acte gravissime, le président Wade décidait de se séparer de Mme Aminata Tall au profit de l’amie de son fils Karim Wade.

10 aout 2011, les jeunes de deux structures rivales du Parti démocratique sénégalais (PDS), l’Union des jeunesses travaillistes libérales dirigée par Bara Gaye et l’Ujtl/Sentinelles dirigée par Coumba Gaye, se sont livrés à une bataille rangée digne du Far West dans la salle des banquets du Palais. Outré par ces bagarres, le maître des lieux, Abdoulaye Wade, avait refusé de recevoir ses sauvageons.

En décembre 2013, le directeur général de l’Agence Nationale pour l’Emploi des Jeunes (ANEJ), Birame Faye, et le député Farba Ngom se sont donné des coups de poings dans le bureau du directeur de cabinet politique du président Sall, Mahmouth Saleh. La violence descoups de Farba Ngom était telle que Birame s’en est sorti avecles habits complètement lacérés.

En septembre 2014, le même député Farba Ngom s’en est pris violemment à l’exdirecteur général de l’ARTP, Abou Lô. Quand Macky Sall a décidé que son frère Aliou Sall ne serait pas investi sur les listes lors des dernières législatives, des partisans de ce dernier ont nuitamment secoué les grilles du palais pour manifester leur colère sous l’œil impuissant des gendarmes du palais.

La dernière bagarre en date,c’estcelles de ces jeunes élèves et étudiants de l’APR qui s’en sont pris aux gendarmes du palais qui leur ont refusé l’accès du saint des sains parce que leur nom ne figurait passur la liste des membres du Meer devant être reçus en audience par le Président ce jour-là. Cette désacralisation de la fonction présidentielle a atteint sans doute son paroxysme avec ces images insolites de jeunes apéristes essayant d’escalader les grilles du palais de la République pour forcer le barrage des gendarmes préposés à sa sécurité.

Tous ces faits de violence motivés par des questions pécuniaires montrent à quel point aujourd’hui le Palais qui incarne l’institution présidentielle est désacralisé. C’est sous l’ère wadienne que le Sénégal a connu ses premières scènes ubuesques et burlesques au palais de la République. C’est l’ancien président lui-même qui a transformé le palais en permanence-bis du PDS. Combien de fois sous le magistère d’Abdoulaye Wade des militants convoyés à bord de Ndiaga Ndiaye ont transformé le palais en MGM Grand Garden Arena, cette salle omnisports de Las Vegas, au Nevada, qui abrite les grandes confrontations de boxe ? On se rappelle cette rixe entre libéraux partisans d’Amadou Yoro Sy, maire de la Commune de Tivaouane Diack Sao, qui se battaient pour le partage de l’argent que Wade leur avait remis pour leur « pass » ou frais de transport. Et tout cela sous l’œil approbateur du maitre des céans. Aucune sanction ne s’était abattue sur trublions. Au contraire, il a toujours semblé que le locataire du palais se délectait de ces spectacles insolites dans l’endroit qui incarne ce qu’il y a de plus sacré dans la République. En sus d’un ring de boxe, le palais était transformé en grand théâtre où des ludions, des aèdes et autres histrions se produisaient selon les desiderata du président Wade.

Le symbole qu’incarne le palais est désacralisé sous Wade qui l’a confondu avec la permanence du Sopi. Toutes les instances du PDS s’y réunissaient surtout pendant la construction du siège de leur parti sis sur la VDN et même après l’achèvement des travaux de celui-ci. Après Abdoulaye Wade qui a abaissé le palais en le transformant en salles de spectacles, son successeur Macky Sall, lui, a eu le tort d’avoir perpétué ces pratiques qui vont aux antipodes des valeurs de la République. Aujourd’hui, le président Macky Sall est sous le joug des addictions à ces scènes de pugilat fréquentes à la présidence de la République. Sinon comment comprendre que de telles inconduites n’aient jamais été frappées de sanctions disciplinaires ?

Inquiétudes sur la fonction présidentielle ?

Au-delà de la désacralisation du symbole de cet espace qui incarne la tête de l’Etat, c’est l’institution présidentielle elle-même qui se trouve dévalorisée. La fonction présidentielle dans la Charte fondamentale donne au président une fonction prééminente de clef de voûte des institutions et d’arbitre au-dessus des postures partisanes. Le président est vis-à-vis des institutions et de la nation un peu dans le rôle du paterfamilias : par conséquent il doit être équidistant des chapelles politiques dès lors qu’il franchit le portail du palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor. Mais le peuple n’a plus aucun respect pour la fonction présidentielle à cause de pratiques qui détonnent avec l’orthodoxie de gestion d’une République. Le palais est devenu une intendance où les militants et les transhumants défilent incessamment pour jouir des liasses de billets de banque que, successivement, les présidents Wade et Macky Sall (ou son épouse !) y distribuent à tour de bras.

Sous le magistère de Léopold Sédar Senghor, jamais le palais n’a été transformé en lieu de réunion des instances du PS. Quand, pour la première fois, Abdou Diouf avait convoqué une sorte de bureau politique au palais, ça avait été considéré comme un scandale politique dénoncé partout. Cette rupture de style incarnée en exclusivité par Abdoulaye Wade et Macky Sall dans la gestion du palais présidentiel est non seulement déconcerte mais aussi illustre le renversement des valeurs qui fondent la République. On dira bien sûr que le fonctionnement des institutions dépend de ce qu’en font les hommes qui les dirigent. Certainement que les Sénégalaises et Sénégalais auront un jour l’occasion d’élire un Président qui redonnerait sa dimension initiale aux symboles de la République, redorerait le blason du Palais et lui restituerait tout son rayonnement terni par ces batailles rangées et ces scènes de pugilat devenue tragiquement banales.
 

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