Cet art de la métaphore renvoie au « plan de redressement » que le meilleur Premier ministre de tous les temps présente ce vendredi 1er août. On dirait à s’y méprendre un plan d’ajustement structurel.
Bien sûr, un pays souverain ne saurait abdiquer devant les injonctions des vampires de Bretton Woods, comprenez le Fonds monétaire international et la Banque mondiale : c’est donc un État responsable, épris de vérité, dont l’addiction à la transparence est proverbiale, qui nous promet de la sueur et des larmes.
La faute au régime précédent, des assassins doublés de faussaires, dont les errements nous conduisent au bord du gouffre.
On ne remerciera jamais assez les 54 % d’électeurs de nous sauver de l’appel de l’abîme ce 24 mars 2024 par le plébiscite d’un austère inspecteur des impôts barbu et polygame, raide comme la justice, pour succéder à un chef de gang rondouillard, au regard bovin.
Comme il faut s’y attendre, le pays est en ruines, les comptes au rouge et les coffres si vides qu’ils font des échos. Pire, les chiffres sont truqués : les nouveaux conquérants héritent donc d’un État voyou dont les prédateurs défilent devant le parquet judiciaire financier. Il reste à peine de quoi mettre un peu de kérozène dans le coucou qui permet au président Bassirou Diomaye Faye et même occasionnellement, à son vénéré Premier ministre, de visiter les voisins en treillis.
Les urgences, on s’en doute, sont ailleurs…
D’abord, indemniser les victimes des exactions de la démocrature précédente. Un monstre si prompt à comploter jusqu’en dessous de la ceinture qu’on se retrouve avec près de quatre-vingts morts, dont deux fillettes brûlées dans un bus par un cocktail molotov qu’une loi d’amnistie raye jusqu’à leur passage sur terre, d’un indécent trait de plume.
Ensuite caser les authentiques martyrs du « Projet ». Pas tous, bien sûr. Il n’y a pas assez de places : des ministères, des directions nationales grassement payées, en plus de quelques mutations vengeresses pour assouvir les haines débordantes.
Dissoudre l’Assemblée nationale et redistribuer des postes, ça doit attendre le délai légal, le 13 septembre 2024 et les législatives anticipées en novembre. Y en a, à cette occasion, cent-trente déjà de casés, avec indemnités et véhicules tout-terrain en prime.
Elle est pas belle, la vie ?
Bref, maintenant que tout est en ordre, il est temps de passer aux choses sérieuses. C’est vrai, le « Projet » dont tout le monde parle, personne ne sait de quoi il retourne. Aux dernières nouvelles, les différents services du gouvernement Sonko qui planchent sur le sujet passent la main en fin de compte à Victor Ndiaye, lequel, en deux temps trois mouvements, présente un majestueux baobab censé symboliser le Sénégal en 2050.
Vous remarquerez que je m’abstiens de tout commentaire : les grandes douleurs sont muettes.
Qu’à cela ne tienne : on a certes du mal à mettre quatre mille visages sur ses auteurs, tandis que le best-seller Solutions, quant à lui, est introuvable. Mais le vénéré Premier ministre, qui ne manque pas de ressort, de retour de Chine, nous annonce la bonne nouvelle : il a un plan de redressement.
Sa courbette devant le mausolée de Mao lui aurait-elle transmis la science infuse et de la Sweet dans les idées ?
Toujours est-il qu’une batterie de mesures est annoncée pour, en résumé, que l’État brade quelques bijoux de famille, et les Sénégalais perforent leurs ceintures pour les serrer jusqu’au seuil de l’intolérable : dans le viseur des contrôleurs patibulaires du fisc, les marchands de cacahuètes, les vulcanisateurs crades, les gargotières crasseuses, les colporteurs de café Touba, les contrebandiers de yass, les faussaires de hamburgers, les dealeuses de fatayer, les trafiquantes de ndambé.
De toutes manières, il faut remettre ce pays dans le droit chemin : le temps des fonctionnaires modestes mais milliardaires est terminé. S’il y en a, par hasard, qui se retrouvent avec un patrimoine d’un demi-milliard, c’est du passé, il y a prescription.
C’est d’avenir qu’il s’agit à présent.
Je ne sais pas vous, mais moi je vois déjà des nuages s’amonceler à l’horizon et ça ne présage rien de bon. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on va rembobiner jusqu’en 1980.
L’année où Senghor rend le tablier au profit de son longiligne Premier sinistre, Abdou Diouf. C’est lors de la prestation de serment, le 1er janvier 1981 que le président de la Cour Suprême, Kéba Mbaye, ouvre le feu : « Les Sénégalais sont fatigués ! » tonne-t-il… Un mois après, c’est le ministre des Finances, Ousmane Seck, qui brûle son prédécesseur : « De 1973 à 1978, l’évolution des finances publiques a été marquée par de très graves erreurs de gestion au niveau de l’État et des services parapublics ».
On en oublierait presque qu’Abdou Diouf est Premier ministre de 1970 à 1980…
Si vous suivez son regard, vous tombez pile poil sur Babacar Bâ, ministre de l’Économie et des Finances de 1971 à 1978, qui a le mauvais goût d’être un surdoué qui passe le bac à dix-huit ans, ce qui est alors un exploit olympique : en ce temps-là, les bacheliers ordinaires tutoient la trentaine… Lorsqu’il est aux Finances, il a pour mission de créer des champions locaux. Le compte K2 logé à la BNDS est là pour ça. Il en crée à la pelle, au point de devenir la personnalité la plus courue de la République. Même quand le vendredi aux aurores il va se recueillir sur la tombe de sa défunte épouse au cimetière de Soumbedioune, à la sortie, c’est un petit monde d’affairistes qui lui fait une haie d’honneur.
Son pire crime ? Séduire Léopold Sédar Senghor tant et si bien qu’il traverse dans la tête du poète président l’idée d’en faire son successeur. Babacar Bâ passe ministre d’État et assure l’intérim du Premier ministre au besoin. Il aura fallu une conspiration orchestrée par Jean Collin, son prédécesseur aux Finances qui se retranche à l’Intérieur et des proches du président dont son directeur de cabinet et son adjoint, le duo Moustapha Niasse et Djibo Kâ en sus de quelques autres francs-tireurs pour freiner l’irrésistible ascension.
Abdou Diouf demandera la tutelle du compte K2 pour le fermer.
Babacar Bâ sera d’abord éloigné des deniers publics en allant aux Affaires étrangères, une manière de le couper de sa solide base du Sine-Saloum, avant d’être limogé suite à un incident public avec le… Premier ministre.
Lorsque la désenghorisation se lance, il est aussi question de broyer les barons du régime, dont Babacar Bâ. La Cour de Répression de l’Enrichissement illicite, la tristement célèbre CREI, voit le jour en juillet 1981 pour tenir en joue les pontes du senghorisme qui auraient la mauvaise idée de ne pas se soumettre au nouveau pouvoir. Quelques lampistes sont embastillés en guise d’avertissement.
Les autres rentrent dans les rangs à reculons.
Senghor est prié gentiment de rendre les clés du PS aussi et de se faire tout petit. Ses histoires de socialisme africain, c’est bien gentil, mais même s’il est court sur patte, il fait de l’ombre à l’interminable Diouf, derrière lequel se tient le chef d’orchestre, Jean-Baptiste Collin.
Après l’élection de 1983, le régime de Diouf se lâche : son ministre de l’Information, Djibo Kâ, dans les colonnes du Soleil, brûle leur idole, un rêveur qui met le pays à genoux à force de lubies poétiques. Il faut redresser tout ça : un plan d’ajustement structurel qui saccage tout sur son passage, surtout l’école publique, laquelle devient un enseignement au rabais, maquillé à grands coups de formules-chocs sous le vocable de l’École nouvelle dont la pire des décisions est la fermeture des internats.
Le dégraissage de la Fonction publique, la privatisation des entreprises nationales, la restructuration du secteur bancaire, et d’autres économies de bout de chandelle font office de plan de redressement.
Les banques meurent les unes après les autres, les industries les suivent au cimetière, des dizaines de milliers de Sénégalais perdent leur emploi : l’économie se résume à un grand souk sur la voie publique, tenue par le mystérieux « secteur informel » dont les têtes de proue sont des diamantaires revenus de leurs mystérieuses pérégrinations…
Il y aura comme chronogramme, le Plan à court terme de stabilisation, 1979-1980, puis celui de Redressement économique et financier, de 1980 à 1985 ; ensuite, un plan d’ajustement à moyen et long terme de 1986 à 1992.
La recette ? Ça généralise la TVA, augmente les droits de douane, réduit les dépenses de fonctionnement et renonce aux emprunts extérieurs. Le désengagement de l’État se traduit par la vente de ses parts en totalité ou partiellement dans les sociétés mixtes, vingt-sept au total, dont cinq banques. Quant à l’ONCAD, elle est dissoute et ses cinq mille employés sont priés d’aller se faire pendre ailleurs. Le parc automobile et les dépenses de carburant sont compressés de 40 % ; vingt-trois ambassades et représentations consulaires mettent la clé sous le paillasson ; cent cinquante assistants techniques doivent rentrer chez eux et les subventions sur le riz, l’huile, le sucre sautent. Bien entendu, les p’tits cadeaux aux entreprises sont supprimés. Et c’est à cette occasion que le timbre du passeport passe de cinq mille à vingt-mille francs.
Merci qui ?
Nos sourcilleux bailleurs de fonds songent même à dévaluer notre monnaie. Ce n’est pas de chance : le Sénégal n’a pas la sienne propre. Faudra convaincre les autres zèbres de l’UEMOA.
Si ce n’était que ça : le Code du Travail aussi est un souci… Les entreprises veulent plus de flexibilité. Comprenez qu’elles veulent virer qui elles veulent, comme elles veulent. C’est l’article 35, l’empêcheur de limoger en rond. Bien sûr, les syndicats ne se laissent pas faire…
Résultat des courses : une vague dévastatrice aux élections de 1988 sur laquelle surfe le Pape du « Sopi », au cours de laquelle Abdou Diouf, tout président de la République qu’il est, manque de se faire lapider à Thiès, alors que la campagne électorale touche à sa fin.
Pour l’instant, nos duettistes au sommet qui triment depuis un an et demi n’en sont qu’à la déclaration d’intention et les prochaines élections ne sont pas pour demain. Le FMI appréciera ?
Du coq à l’âne : le costume vert fluo du maire de Guédiawaye, on en parle ? Bon, tant pis…
