A mon humble avis, la masse salariale est loin d’être une bombe si l’on en juge par l’ampleur des hausses, la nature des augmentations et l’évolution parallèle de la dette qui devrait plus nous inquiéter que les salaires.
✍️ De l’ampleur des hausses de salaires
Tout d’abord il faut préciser que toutes les dépenses de personnel ne sont pas encaissées par les salariés chaque mois. Dans cette rubrique on trouve, en dehors des salaires, primes et indemnités, des cotisations sociales, des prises en charge médicales, des rémunérations versées à du personnel non sénégalais dans des missions diplomatiques par exemple et d’autres charges de personnel.
Il est vrai qu’entre 2022 et 2023 les dépenses de personnel ont augmenté de 23% alors que les recettes internes n’ont évolué que de 13% mais le ratio « dépenses de personnel/recettes internes » est resté relativement stable entre 2021 et 2024, passant de 33% en 2021 à 30% en 2022 avant de monter à 35% en 2023 pour revenir à 33% en 2024.
Il est tout aussi bon de rappeler qu’entre 2021 et 2022, les recettes internes ont augmenté de 15% pendant qu’on enregistrait 5% pour les dépenses de personnel. Même tendance en 2024, où on s’attend à une hausse des recettes internes de 20% alors que les dépenses de personnel ne vont croître que de 13%.
Encore une fois, toutes ces dépenses de personnel ne vont pas dans les poches des agents de l’Etat.
Plusieurs études ont montré, ces dernières années, que le salaire moyen était compris entre 100.000 et 150.000 FCFA par mois au Sénégal ; ce qui anormalement faible pour un pays où le coût de la vie est l’un des plus élevés de la sous-région.
✍️ De la nature des augmentations de salaires
Aussi, certaines hausses de dépenses de personnel sont liées à la régularisation de sommes dues depuis plusieurs années (avancement des enseignants ou protocoles d’accord avec les syndicats de tous les secteurs). Il y a certes eu beaucoup de recrutements et de revalorisations salariales mais c’est dans des proportions acceptables pour un pays où des milliers de jeunes diplômés sortent chaque année des écoles et universités avec un secteur privé qui peine à les absorber. L’Etat étant le premier investisseur dans un pays en développement comme le Sénégal, il peut aussi être le premier employeur en attendant que le secteur privé soit assez fort pour absorber une bonne partie de cette main d’œuvre.
Malgré toutes ces augmentations qualifiées d’extraordinaires, pour l’année 2024, un agent de l’administration perçoit, en moyenne, 670.000 F CFA par mois, en brut (1442 milliards pour 179.000 agents). Comme précisé ci-haut, tout ce montant n’est pas encaissé par le salarié car les impôts sont coupés à la source et cette moyenne inclut d’autres prises en charge et contrats d’agents non permanents que l’Etat rémunère pour des tâches spécifiques. Si on parvenait à défalquer tous ces éléments du montant global, on se retrouverait avec un salaire plus faible qui reflète la réalité des rémunérations dans le secteur public au Sénégal.
Même si on ignorait ces aspects pour prendre le montant calculé, il n’est pas si élevé que cela si l’on sait que la taille moyenne d’un ménage sénégalais est de 9 personnes. S’y ajoute une concentration de salaires faibles dans l’administration qui contraste avec certains salaires très élevés qui sont concernent une élite minoritaire en termes de proportion dans l’effectif total des agents de la fonction publique.
✍️ La dette, le vrai produit inflammable
Précisons que ce n’est pas avec la dette que les salaires sont payés. Ces deux variables prennent des directions aussi divergentes que celles de Pastef et de l’APR.
On le sait, la dette est incontournable pour des investissements. Mais on peut s’inquiéter de la hausse de 36% des intérêts de la dette entre 2023 et 2024. Le service de la dette (principal+interêts) va augmenter de 44% sur les deux ans à venir pour atteindre 2600 milliards en 2026.
En l’état actuel des choses, je ne pense pas que la masse salariale puisse constituer un fardeau pour le nouveau régime. Je pense même qu’il faut l’augmenter en recrutant plus de jeunes qualifiés dans la fonction publique et en motivant davantage les agents déjà en poste avec comme contrepartie, des performances relatives à la modernisation de l’administration, son efficacité et sa productivité.
Le vrai challenge, c’est la rationalisation des autres dépenses de fonctionnement, la gestion prudente de l’endettement, l’élargissement de l’assiète fiscale et une gestion plus rigoureuse des exonérations fiscales.
Le ratio dette/PIB, tourne déjà autour de 80% mais un simple changement d’année de base du PIB (rebasing) pourrait le faire baisser; ce qui réduit d’autant la pertinence de ce ratio de solvabilité. Par contre, il est urgent d’améliorer les ratios de liquidité, dans le court terme, en travaillant à la redynamisation des exportations et à une plus forte mobilisation de recettes budgétaires. Compte tenu de la forte concentration d’inspecteurs des impôts ou du trésor entre la présidence, la primature, le ministère des finances et le ministère de l’énergie, du pétrole et des mines, cela ne devrait pas poser problème.
Pr Abou KANE
FASEG/UCAD