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25 MAI 1857, 25 MAI 2017 : il y a 160 ans, le drapeau français fut planté sur la presqu’île du Cap Vert

TRIBUNE LIBRE
Vendredi 26 Mai 2017

«L’histoire de la collectivité Léboue mériterait d’être connue de tous les français de France  qui veulent servir Outre-mer. Ils se rendraient compte que la civilisation noire n’est pas niable et ils verraient comment une petite République Africaine a pu naître et prendre conscience de sa force morale. C’est tout à l’honneur de la France et de ses premiers représentants d’avoir traité avec cette République des Lébous et d’avoir entretenu immédiatement avec elle des relations cordiale (…) Et si j’avais le droit de donner conseil aux jeunes Lébous ce serait de rester fidèles aux traditions Léboues et, par conséquent, de toujours honorer et respecter  leurs ainés dont la sagesse et l’expérience ont fait d’eux ce qu’ils sont.»

G. Poirier, Gouverneur de la Mauritanie
Bref rappel historique
 
En fin 14e, début 15e siècle, les Lébu, venant du Djolof, s’établirent progressivement dans la presqu’ile du Cap Vert alors occupée par les Mandingue (Soce). Ces derniers, après une cohabitation assez heurtée de plus de cinq décennies, leur céderont la place pour se replier plus au sud, vers l’actuelle Gambie. En 1549,  le Cayor se libéra du Djolof, suite à la bataille de Danki dirigée par Amary Ngoné Sobél, fils du Laman Déthiéfou Ndiogou.

Le nouvel Etat Cayorien étendit alors ses frontières jusqu’en terre Cap Verdienne, en y installant ses gouverneurs et ses collecteurs d’impôts. Mais, en 1790, les Lébu se libéreront du Cayor, après de longues et épiques batailles dont la dernière fut dirigée par Dial Diop et son oncle Mapote Mbengue. Dial Diop fut alors élu 1er Serigne Ndakarou et Mapote Mbengue Ndey Dji Reew. Ainsi naquit la République lébu. Vingt sept années après sa naissance, en 1817, les Français réoccupèrent l’île de Gorée. A noter que l’île avait été cédée aux Hollandais par les dignitaires lébu, alors installés à Begne, 2 siècles plus tôt, en 1617.
 
Les temps des traités
 
Claude Faure, ancien archiviste du gouvernement général de l’Afrique Occidentale Française, a eu raison de faire le témoignage ci après, dans son ouvrage intitulé «Histoire de la presqu’ile du Cap Vert» : «Pendant quarante ans (1817-1857), les relations entre Gorée et la presqu’île du Cap Vert furent celles qui existent entres deux puissances étrangères.»

En effet, pendant cette période, les représentants de la France installés à Gorée et les dignitaires lébu sur la Grande terre, ont eu à signer plusieurs traités dont celui du 10 octobre 1826 règlementant les interventions à l’occasion des naufrages de navires, celui du 22 avril 1830 concernant des révisions de taxes et impôts que les Français payaient aux autorités de la Presqu’île et celui du 10 août 1832 qui cédait aux Goréens un terrain situé à la pointe de Bel air pour abriter un cimetière.

On peut aussi noter, pour confirmer l’hégémonie lébu au Cap Vert en cette première moitie du 19e siècle, l’intervention du Serigne Ndakarou Elimane Diol auprès du Damel du Cayor lui exigeant la libération immédiate de deux missionnaires qui s’étaient rendu dans son royaume pour prêcher la foi Chrétienne et qu’il avait fait arrêté. Dans sa correspondance en date du 18 mai 1847 on pouvait lire ces mots fermes adressés au Damel Maissa Tenda Dior : «En arrêtant les deux missionnaires sur tes terres, tu as fait tort, non au gouverneur de Saint Louis, ni au roi de France, mais à moi Elimane, parce qu’ils habitent dans mon territoire.

Les missionnaires disent la vérité. Si tu veux la recevoir, c’est bien, sinon renvoie-les tout de suite. Je suis la même religion que toi, mais je n’ai pas fait emprisonner les missionnaires. Je les ai laissés libres. Si les Maures qui demeurent au Cayor venaient à Dakar, serais-tu content si je les faisais arrêter et tuer ? Si tu gardes un seul mouchoir des missionnaires, je suis décidé à te faire la guerre pendant  trente ans.» 
Les prisonniers furent libérés dés réception de la lettre du Serigne Ndakarou à la grande joie de ses protégés.

Installation de la première mission catholique

Une année avant l’incident ci devant rappelé, en 1846, les chefs lébu avaient octroyé aux représentants de l’église à qui ils témoignaient beaucoup de respect en tant que disciples du prophète Issa (Jésus), une concession de trois hectares, située au bord de la mer, au niveau du site actuel de l’hôtel de ville de Dakar pour abriter une mission catholique.

Voici comment Abbé Boilat, dans son «Esquisse sénégalaise», raconte l’accueil réservé par le Serigne Ndakarou Elimane Diol à son hôte, Monseigneur Benoit Truffet, rejoignant la première mission catholique de Dakar : «Le 8 Mai 1848, M. Trébuchet, capitaine du port de Nantes, arma en rade de Gorée de bon matin sa chaloupe pour conduire Monseigneur à Dakar (…) La traversée fut longue (…) Pendant ce temps, tous les missionnaires avec leurs enfants, tout le village de Dakar et toute l’armée de la République, l’Elimane en tête, attendaient sur le rivage. A peine fumes-nous descendus à terre, et Monseigneur eut-il entonné les prières prescrites par le Pontifical romain, que les détonations des armes à feu se firent entendre de tous cotés. Plus de cinquante tam-tams roulaient au milieu de chants d’allégresses : on eut cru se trouver au milieu des chrétiens de la première Eglise.» 
 
Quelques temps après son installation, Benoit Truffet fera le témoignage suivant sur les Lébu : «La droiture, la probité, le respect pour le mariage, la soumission des enfants aux parents, leur affection pour leur père, l’hospitalité patriarcale des Wolof contrastent avec les mœurs des Européens. Le meurtre, le vol et la fraude sont choses inouïs dans la presqu’île du Cap Vert (…) En prêchant à ces hommes calmes et religieux, on n’a pas besoin de leur prouver que Dieu les a placés en ce monde pour sauver leur âme : ils vivent dans cette persuasion et leur fanatisme en est la conséquence. Ces noirs nous aiment beaucoup parce qu’ils savent que nous prions.»

L’occupation

Le 10 janvier 1857, Auguste Léopold Protet, commandant supérieur de Gorée, acheta une maison située sur la partie haute de l’actuelle place de l’indépendance. Le 13 janvier, il s’y installa avec ses troupes tandis qu’au large de Dakar étaient positionné quatre navires de guerre. Et le matin de Korité du 25 mai 1857, il défilait dans les rues de Dakar, comme pour participer à la fête de l’Aid El Fitr (fin de carême des musulmans).
 
Ecoutons-le lui-même raconter l’événement dans sa correspondance adressée au ministre de la Marine, lui annonçant son exploit : «J’ai l’honneur de vous informer que j’ai fait arborer le pavillon français sur le petit fort que nous avons construit à Dakar. Il dégagera notre commerce de tous les péages d’ancrage, de lest de sable et d’eau qui étaient imposés à nos bâtiments marchands, en même temps qu’il étendra notre influence sur toute cette côte voisine de Gorée. J’ai profité, pour faire acte de possession, du jour du Ramadan qui est pour la population indigène de la Presqu’île la plus grande fête de l’année. J’avais donné aux principaux chefs un pavillon qu’ils ont arboré sur  leurs cases, de telle sorte que les coups de fusils, les danses et les habits de fête de tous ces noirs ont autant célébré la domination française que la fin du carême.»
 
Les temps venaient de changer : les Français étaient devenus les plus forts et ils fixaient désormais les règles du jeu. Par stratégie, ils laisseront aux chefs de la collectivité Lébu leur autorité traditionnelle et une partie des droits dont ils jouissaient avant l’occupation. En vérité, par la politique des traités, ils avaient réussi un processus de colonisation en douceur qui leur avait permis de s’installer de manière effective en territoire lébu sans que ces derniers ne comprennent ce qui leur arrivait. L’acte d’installation avait été signé par Mbor Ndoye, le Jaraf de l’époque, et contresigné par Ousmane Diene, le fondateur du penc Kaye Ousmane Diene.
 
Le drapeau bleu, blanc, rouge flottera pendant plus d’un siècle (103 ans exactement) sur Ndakarou (la cité refuge), terre non conquise par les armes, où il fut planté sans effusion de sang. Là, il n’engendra pas seulement les fruits amers de la délocalisation des populations autochtones, de l’accaparement des terres et autres brimades, mais aussi des fruits d’un goût meilleur qui ont pour nom aménagement territorial, équipement et rayonnement international… C’est pourquoi, à l’heure des indépendances, certaines personnalités lébu, fières de leur citoyenneté française acquise de longue date, avaient voulu que la Presqu’île restât dans la communauté. En vérité, pensent d’aucuns, par le transfert de la capitale de Saint Louis à Dakar, le président Dia, en visionnaire, ne cherchait rien d’autre qu’à faire avorter ledit projet et y a fort bien réussi. Le raisonnement était simple : la France ne saurait accorder au Sénégal son indépendance sans sa capitale. Ainsi donc, avec l’indépendance, le Sénégal, fort heureusement, conserva sa capitale où flotte depuis lors le drapeau vert, jaune, rouge à bandes verticales avec une étoile verte centrale à cinq branches ; cela fait exactement 57 ans…
 
ABDOU KHADRE GAYE
Ecrivain, Président de l’EMAD
Tel : 338426736
Email : emadassociation1@gmail.com
 

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