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Gambie : l'affaire qui met en cause le président déchu Yahya Jameh

JUSTICE
Mardi 22 Mai 2018

Treize ans après le massacre d'une cinquantaine de migrants en Gambie, HRW et Trial International affirment qu’ils ont été assassinés par une unité paramilitaire contrôlée par l'ancien dictateur gambien Yahya Jammeh.


C'est l'unique survivant d'un massacre vieux de 13 ans. En 2005, Martin Kyere décide de quitter son pays, le Ghana. Avec quelques économies en poche, il veut rejoindre l’Europe. Au gré de son périple, il se retrouve au Sénégal avec un groupe d’une cinquantaine d’exilés qui, comme lui, rêvent de rallier le Vieux Continent. Ce sont majoritairement des Ghanéens, mais aussi dix Nigériens, deux Sénégalais, deux Ivoiriens et un Togolais.

Dans la nuit du 21 au 22 juillet, ils se serrent dans un canot à moteur de location afin de rejoindre un navire susceptible de les emmener à destination. La mer est agitée cette nuit-là, la communication avec le bateau est impossible. Le groupe est contraint d’accoster sur les côtes du pays voisin, la Gambie . Ils débarquent au petit matin sur la plage de Barra, en face de la capitale Banjul, sur la rive opposée du fleuve Gambie. Le pays fête ce jour-là en grande pompe l'anniversaire du coup d’état perpétré en 1994 par Yahya Jammeh Dès leur arrivée, des policiers les arrêtent.

"Ils nous ont fait mettre en ligne, en pointant leurs fusils sur nous, et nous ont escortés jusqu'au poste de police de Barra", se souvient Martin Kyere. Son témoignage, recueilli par Human Rights Watch (HWR) et Trial International, est essentiel. Il ne reste que lui pour raconter cette histoire. Tous ses compagnons d’infortunes sont morts en Gambie. Selon les ONG qui ont enquêté conjointement pendant deux ans et viennent de rendre leurs conclusions, ils ont été assassinés par une unité paramilitaire contrôlée par l'ancien président, dont les membres sont appelés les"junglers" en référence à leur entrainement à la survie dans la jungle."En l'espace d'une semaine, les 'junglers’ (…) ont exécuté sommairement huit migrants près de la capitale, Banjul, et les autres le long de la frontière sénégalaise", affirment les organisations.

"Un escadron de la mort" sous les ordres de Jammeh

Le 16 mai dernier, Martin Kyere, des familles de victimes ghanéennes ainsi que des organisations de défense des droits de l’Homme du pays, ont appelé le Ghana à poursuivre en justice Yahya Jammeh. Ils ont avec eux de nombreux nouveaux témoignages le mettant en cause. Les langues se sont déliées depuis sa defaite lors de la presidentielle de 2016 face a Adama Barro et son exil forcé en Guinée-Équatoriale. HWR et Trial International ont pu s’entretenir avec une trentaine d’anciens responsables de la sécurité gambienne, dont onze officiers directement impliqués dans cette tuerie.

Militants et proches des victimes ont espoir d’obtenir d’extradition de l’ancien dictateur resté 22 ans au pouvoir multipliant les violations des droits humains "Ces migrants ouest-africains n'ont pas été assassinés par des éléments incontrôlés mais par un escadron de la mort qui recevait ses ordres directement du président Jammeh", affirme Reed Brody, conseiller juridique à HRW. Les migrants auraient été pris pour des mercenaires par ce régime paranoïaque persuadé qu’un coup d’État était en préparation, selon plusieurs responsables interrogés.

Martin Kyere parviendra à s’échapper en sautant d’un pick-up alors que le groupe a été séparé. "Un homme s'est plaint du fait que les fils métalliques qui nous entravaient étaient trop serrés, et un soldat lui a donné un coup de coutelas à l'épaule, lui tailladant le bras, et il s'est mis à saigner abondamment. C'est à ce moment-là que j'ai pensé : ‘Nous allons mourir.’ Mais alors que la camionnette s'enfonçait dans la forêt, j'ai réussi à délier mes mains. J'ai sauté du pick-up et j'ai couru dans la forêt. Les militaires ont tiré dans ma direction mais j'ai réussi à me cacher. Puis j'ai entendu des coups de feu provenant du pick-up et le cri, en twi [langue ghanéenne]: ‘Que Dieu nous vienne en aide!’". Depuis, de retour au Ghana, il a aidé les autorités à mettre des noms sur les victimes, a recherché et prévenu leurs familles et s’est engagé à faire éclater la vérité.

L’enquête enterrée puis relancée, l’espoir d’un procès

Malgré les demandes répétées du Ghana, le régime de Yayha Jammeh a toujours refusé d’enquêter, démentant toute implication dans ce massacre. En 2008, une commission d’enquête sera mise sur pied mais "le gouvernement gambien avait déjà pris des mesures visant à détruire les éléments de preuve existants concernant cette affaire", affirment HWR et Trial International. La même année, un rapport conjoint de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et de l'ONU jamais rendu public, conclura que le gouvernement gambien n'était pas "impliqué directement ou indirectement" dans les assassinats et les disparitions, perpétrés par des "éléments incontrôlés" au sein des services de sécurité gambiens "agissant pour leur propre compte".

L’affaire a été définitivement enterrée l’année suivante, dans le cadre d’un mémorandum signé entre les deux pays reconnaissant que le gouvernement gambien n'était pas impliqué dans les meurtres. Ce dernier versera la somme de 500 000 dollars au Ghana dont une partie sera reversée aux familles de disparus et victimes au titre d’indemnités. Six dépouilles seront rapatriées, sans qu’il soit possible d’établir si les corps transférés étaient effectivement ceux des Ghanéens assassinés selon les ONG.

Treize ans après ces meurtres, la perspective d’un procès en Gambie, où les travaux d’une Commission vérité, réconciliation et réparations doivent débuter dans les prochains mois, est peu probable compte-tenu de la fragilité des institutions, mises à genou par Yahya Jammeh. L’ouverture de poursuites au Ghana apparaît comme la solution la plus rapide. Encore faut-il extrader l’ancien dictateur.

Son hôte, le président de la Guinée équatoriale, l'autoritaire Teodoro Obiang après s’être montré ouvert à cette possibilité s’est ravisé en début d’année estimant devoir donner "une garantie pour que les autres chefs d’État qui doivent quitter le pouvoir n’aient pas peur des harcèlements qu’ils pourraient subir après", rapportent HWR et Trial International. Les organisations ghanéennes de défense des droits de l’Homme rappellent pour leur part que la Guinée équatoriale a ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture, ce qui l’oblige à mener une enquête ou extrader toute personne soupçonnée d'actes de torture.


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