Inculpé en novembre 2023 pour de présumées irrégularités douanières liées à des opérations d’importation, Khadim Bâ, également administrateur de la BNDE, est en détention depuis neuf mois. Ses avocats dénoncent une détention arbitraire fondée sur des procédures entachées d’irrégularités et une qualification juridique discutable.
Dans leur dernière offensive judiciaire, les conseils de Khadim Bâ – Me Baboucar Cissé, Me François Sarr, Me Antoine Mbengue et Me Michel Simel Basse – ont déposé le 16 juin 2025 une requête fondée sur les conclusions d’un rapport d’expertise indépendant commandité par le juge lui-même.
Un rapport qui blanchit... et accuse
Le rapport, produit par le cabinet Cecogex, met sérieusement en doute les fondements mêmes de l’accusation. Transmis au ministre des Finances et du Budget, Cheikh Diba, ce document évoque de graves vices de procédure, des erreurs d’interprétation des textes douaniers, ainsi qu’une absence de base légale au moment des faits incriminés.
Selon les experts, aucune obligation claire de rapatriement de recettes ne pouvait être invoquée au titre de la réglementation en vigueur au moment de l’opération, les modifications apportées par le règlement n°06/2024/CM/UEMOA n’étant entrées en vigueur qu’à la fin de 2024. En d’autres termes, l’infraction reprochée à Khadim Bâ n’était pas constituée au moment des faits.
Des accusations jugées « artificielles »
Le rapport indique également que la Douane aurait fondé ses procès-verbaux sur des éléments incomplets, sans vérifier l’ensemble des pièces justificatives, et sans prendre en compte la nature du contrat de représentation entre Dermond Africa (structure sénégalaise) et Dermond Oil and Gas FZE (basée aux Émirats Arabes Unis). Les flux financiers s’effectuaient en francs CFA via un compte domicilié au Sénégal, avec l’aval de la BCEAO, ce que pourrait bientôt confirmer un témoignage clé d’Al Amine Lô, ancien directeur national de la Banque centrale.
Malgré ce rapport accablant pour l’administration douanière, le procureur financier a rendu un avis défavorable à la demande de remise en liberté. Une position suivie par le juge, qui a estimé que les arguments présentés ne suffisaient pas à justifier une annulation de la procédure ni une mainlevée du mandat de dépôt.
Une décision que les avocats jugent injuste et incompréhensible, au regard du contenu du rapport Cecogex. Ils annoncent de nouvelles actions judiciaires à venir, y compris une possible demande d’inscription de faux visant certains agents de la Douane qu’ils accusent d’avoir fabriqué des pièces à charge.
Au-delà de la dimension strictement judiciaire, l’affaire Khadim Bâ contre la Douane sénégalaise soulève des enjeux de gouvernance, d’équité fiscale et de climat des affaires. Patron reconnu dans le secteur financier et pétrolier, Khadim Bâ incarne pour certains l’image d’un entrepreneur sénégalais audacieux, pour d’autres, celle d’un acteur trouble de l’économie parallèle.
Quoi qu’il en soit, ce bras de fer soulève des interrogations croissantes sur l’indépendance des institutions financières, la transparence des procédures douanières, et l’usage du droit dans la régulation économique au Sénégal.
Le dossier Khadim Bâ semble loin d’être clos. Les avocats comptent multiplier les recours pour faire éclater ce qu’ils qualifient de « détention injustifiée ». De leur côté, les autorités judiciaires et douanières restent muettes face aux révélations du rapport d’expertise.
La suite pourrait bien se jouer autant dans les prétoires que dans l’opinion publique, tant cette affaire commence à cristalliser les tensions autour de la justice économique au Sénégal.

