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La saisine a priori du Conseil constitutionnel : un leurre

TRIBUNE LIBRE
Samedi 29 Juillet 2017

Il est très rare qu’un président de la République saisisse le Conseil constitutionnel à la veille d’un scrutin. Et ce, pour un Avis lié aux modalités de vote. Officiellement, le Conseil constitutionnel est saisi sur la possibilité de permettre aux citoyens sénégalais ne pouvant disposer de leurs titres biométriques de voter avec les pièces suivantes : carte nationale d’identité numérisée et carte d’électeur numérisée prorogées jusqu’en septembre 2017, passeport, permis de conduire ou document d’immatriculation pour les primo-inscrits. De prime abord, la démarche du chef de l’Etat paraît sincère et louable. Mais, à y regarder de plus près, l’initiative de Macky Sall semble plutôt être motivée par des calculs politiques, et non par la volonté de permettre au plus grand nombre de sénégalais d’accomplir leur devoir civique.


La loi constitutionnelle n° 2016-10 du 5 avril 2016 définit le champ de compétence du Conseil constitutionnel. Du titre I, intitulé «Des compétences du Conseil constitutionnel», l’article premier est libellé comme suit : «Conformément aux dispositions des articles 74, 76, 78, 83, 92 et 97 de la Constitution, le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité́ des lois, sur le caractère réglementaire des dispositions de forme législative, sur la recevabilité́ des propositions de loi et amendements d’origine parlementaire, sur la constitutionnalité́ des engagements internationaux, sur les exceptions d’inconstitutionnalité́ soulevées devant la Cour d’Appel ou la Cour suprême, sur les conflits de compétence entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif». Le Conseil constitutionnel ne vote pas de loi (ne relève pas de sa compétence). Il interprète la loi et se prononce sur sa constitutionnalité.


La saisine A PRIORI du Conseil Constitutionnel est d’autant plus surprenante que les articles L 53 et L 78 du Code électoral disposent « que seule la carte d'identité biométrique CEDEAO fait office de carte d'électeur». Il n’y a aucune ambiguïté. Comme le disait Ismaïla Madior Fall, du temps où le Professeur de Droit excellait avec désintéressement, dans son rôle de Constitutionnaliste «dans cet article, il n'y a nulle place à interprétation, même pour les exégètes les plus passionnés...».


Le Conseil constitutionnel n’ayant ni la compétence de proposer une loi, ni celle de voter la loi, encore moins d’inventer un article qui n’existe pas dans la Charte suprême, il n’y a guère de doute, sur le fait que la requête du Président Macky Sall sera sanctionnée par un Avis négatif. En Droit. Car, Il convient d’être vigilant dans la mesure où l’histoire récente nous a appris qu’on pouvait faire dire au Droit ce qui est contraire au Droit, et transformer un Avis du Conseil Constitutionnel en Décision.

Pour mémoire, le 25 février 2016, 45 Professeurs et d’éminents spécialistes du Droit avaient signé un Manifeste, d’une portée historique dans lequel ils dénonçaient les dérives liées à l’insécurité juridique, du fait d’interprétations erronées de la Constitution par l’Exécutif. Dès lors, comment comprendre la saisine du chef de l’Etat sur une loi qui n’existe pas et qui permettrait de voter avec des pièces non prévues par la loi actuelle ? L’hypothèse est la suivante : le tollé consécutif à la rétention (ou non-délivrance) des cartes d’électeurs pour des centaines de milliers de Sénégalais jette le trouble et discrédite la sincérité et la régularité du scrutin du 30 juillet 2017. D’autant que l’exécutif reconnaît officiellement qu’une frange importante de Sénégalais sera privée du droit de vote le 30 juillet 2017.

La saisine A PRIORI du Conseil constitutionnel n’aurait pas pour objet de garantir le vote du plus grand nombre de nos concitoyens, mais plutôt de témoigner de la bonne foi du chef de l’Etat, qui a agi en «bon démocrate» en demandant publiquement aux Sages un Avis sur une question dont il connaît lui-même déjà la réponse (n’oublions pas que Ismaïla Madior est le conseiller juridique du Président). Pour le chef de l’Etat, l’enjeu de la saisine A PRORI des Sages porte davantage sur l’après scrutin.


Un avis négatif du Conseil constitutionnel permettrait de justifier, A POSTERIORI, la sincérité du scrutin, sur la base des cartes biométriques déjà distribuées de manière sélective (le taux de délivrance des cartes électorales est estimé à plus de 92% à Fatick). Le Conseil constitutionnel pourra motiver que le Président a usé de tout son pouvoir pour permettre aux citoyens sénégalais d’exercer leur droit de vote, mais que cette volonté s’est heurtée à la Loi actuelle. Partant de ce fait, tout contentieux post électoral portant sur la sincérité du scrutin du 30 juillet 2017 pourra être «valablement rejeté». Avec la saisine du Conseil constitutionnel, nous assistons à un remake du référendum de 2016 «Le Président avait fait part de sa volonté de réduire son mandat, mais se serait heurté à l’obstacle de la Loi».

Le chef de l’Etat ayant saisi publiquement le Conseil constitutionnel le 24 juillet 2017 (lettre publique), il serait judicieux que ce dernier puisse, dans les 72H (avant le scrutin), rendre publiquement son Avis (parallélisme des formes). L’argumentaire du Conseil constitutionnel sera scruté à la loupe par les Sénégalais, d’autant que l’article 24 de la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 5 avril 2016 dispose que «Le Conseil constitutionnel rend, en toute matière, des décisions motivées».


Qui peut croire une seule seconde que Macky Sall a découvert le 24 juillet 2017, le problème lié à la production et à la délivrance des titres biométriques ? Ce serait inquiétant.
Le Conseil constitutionnel garant des droits fondamentaux des citoyens sénégalais serait bien avisé de ne pas violer notre Charte suprême pour le bon vouloir du «Prince». La pérennité de la démocratie sénégalaise dépend de la vigilance de chaque citoyen, et de la possibilité pour chacun d’accomplir son devoir civique le 30 juillet 2017, dans le cadre de la Loi.


Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr

 


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