L’ancien président sénégalais Macky Sall poursuit sa contre-offensive juridique face aux accusations de « dette cachée » formulées contre son administration. Selon un courrier révélé par RFI et confirmé par plusieurs médias, ses avocats ont officiellement saisi le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir des éclaircissements sur la manière dont l’institution a validé le chiffre d’environ 7 milliards de dollars de dettes non déclarées entre 2019 et 2024.
Dans cette lettre, le cabinet français FTMS, qui défend l’ex-chef de l’État, demande au FMI de préciser si cette estimation résulte d’un travail propre de ses services ou s’appuie uniquement sur des données fournies par l’administration sénégalaise actuelle. Les avocats exigent également la communication des documents ayant servi de base au calcul et sollicitent une rencontre avec un représentant de l’institution de Bretton Woods pour discuter du dossier.
Rappel des faits : comment est née la polémique sur la « dette cachée » ?
L’affaire trouve son origine dans un audit de la Cour des comptes sénégalaise qui, début 2025, a drastiquement révisé à la hausse le niveau de la dette publique, faisant passer le ratio dette/PIB de l’ordre de 65–75 % à près de 100 % pour fin 2023. Ce nouveau chiffrage impliquait l’existence d’environ 7 milliards de dollars d’engagements jusque-là non comptabilisés, liés notamment à des passifs d’entreprises publiques et à des engagements contractés hors des circuits budgétaires classiques.Dans un communiqué de mars 2025, le FMI a lui-même confirmé l’existence d’une dette non déclarée d’environ 7 milliards de dollars accumulée sous l’administration Sall entre 2019 et 2024, évoquant un cas de « déclarations erronées » aux services du Fonds. Cette situation a entraîné la suspension d’un précédent programme de 1,8 milliard de dollars et ouvert un dossier sensible sur la transparence des finances publiques sénégalaises.
Le nouveau pouvoir, incarné par le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko, a publiquement attribué la crise actuelle de la dette à l’ancien régime, tout en négociant avec le FMI un nouveau cadre de coopération dans un contexte de fortes vulnérabilités budgétaires et de tensions sur la notation souveraine du pays.
La stratégie de défense de Macky Sall : contester la méthode et la narration politique
Macky Sall et ses conseils rejettent la notion même de « dette cachée ». Ils soutiennent que les engagements pointés par la Cour des comptes et repris par le FMI seraient soit mal classés, soit issus d’une lecture unilatérale de l’Inspection générale des finances (IGF), sans véritable contradictoire avec les anciens responsables de l’exécutif.Me Pierre-Olivier Sur, l’un de ses avocats, dénonce des « erreurs de méthodologie » et un manque de vérification de la fiabilité des données utilisées. Il reproche à la Cour des comptes d’avoir travaillé « dans son coin » et reproche à l’actuelle administration de ne pas avoir partagé certains documents d’audit avec le camp de l’ancien président.
Avec cette nouvelle lettre adressée au FMI, la défense cherche à déplacer le débat sur un terrain technico-juridique : comment précisément le chiffre de 7 milliards a-t-il été établi, sur quelle base documentaire, avec quels tests de cohérence, et dans quelle mesure le Fonds a-t-il reproduit ou validé les calculs de Dakar ?
Pour Macky Sall, l’enjeu est double : défendre son héritage économique au moment où il tente de s’imposer comme une figure internationale de premier plan, et contester l’image d’un ancien régime qui aurait sciemment dissimulé une partie de la dette du pays.
Un débat qui dépasse le cas Sall : transparence, FMI et crédibilité du Sénégal
Au-delà de la bataille d’arguments, cette séquence pose une série de questions sensibles. Le Sénégal est devenu un cas test pour les promesses du FMI et de la Banque mondiale en matière de transparence de la dette : la manière dont les institutions financières internationales traitent ce dossier sera scrutée de près par les marchés et la société civile.Sur le plan interne, la crise de confiance autour des chiffres de la dette alimente les tensions politiques : d’un côté, l’actuel exécutif justifie ses choix budgétaires et sa rhétorique de « rupture » par l’héritage financier laissé par l’ancien pouvoir ; de l’autre, Macky Sall dénonce une instrumentalisation politique des audits et des rapports d’experts.
En attendant la réponse du FMI à cette lettre très ciblée, deux dynamiques se superposent : la négociation technico-financière entre Dakar et le Fonds, indispensable pour stabiliser l’économie, et la bataille de récit entre l’ancien président et ses successeurs, chacun cherchant à convaincre l’opinion publique, les partenaires internationaux et les investisseurs de la légitimité de sa version des faits.
Une chose est sûre : le débat sur la « dette cachée » ne se joue plus seulement dans les colonnes d’un rapport, mais désormais aussi dans l’arène politique et diplomatique internationale.

