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« Mon Mouton et Moi » (Par Ibou Fall)

CULTURE
Samedi 26 Août 2017

Extrait du livre "Dieu Le Pire "


« Mon Mouton et Moi » (Par Ibou Fall)
 

Un Wolof, un vrai, ça sait anticiper les «problèmes de difficultés» (comme diraient certains fins lettrés de chez nous), contourner les emmerdes, se défaire des accrocs. Dès la naissance, on conjure le mauvais sort par un baptême du feu de Dieu. Voilà tout le secret de la race élue du Ciel. C’est le B.a.ba. Personne ne peut aller loin dans la vie après avoir accosté sur les petites berges du vaste monde n’importe comment, s’être appelé n’importe qui, signe évident qu’on fera n’importe quoi de sa vie. C’est frappé au coin du bon sens. La réflexion autour d’un sujet de cette importance est menée dès les premiers ballonnements de ventre de la sokhna triée sur le volet, puis repassée aux rayons X derrière des volets encore, clos cette fois-ci. Etant donné que ce n’est pas vous qui faites la lessive, même de vos caleçons les plus putrides, elle est bien obligée de vous annoncer la terrible nouvelle : «ce mois-ci, je n’ai pas fait le linge». En cherchant bien dans vos souvenirs d’étudiant en philosophie, première année, vous vous rappelez ce que les austères rhétoriciens méconnus de l’antiquité, donc légitimement frustrés, appelaient des prolégomènes. Tout cartésien que vous êtes, vous vous en doutez bien, il y a anguille sous roche qu’il faut débusquer. Votre femelle ne peut décemment pas décréter un mouvement de grève uniquement sur la lessive, alors que la veille, vous avez exécuté plein d’acrobaties cochonnes avec rage et détermination, jusqu’au petit jour, avant de vous diriger d’un pas alerte vers votre natte de prière et votre chapelet. Pareil cadeau divin ne peut attendre le lever du soleil : c’est dare-dare qu’il faut remercier le ciel d’avoir survécu à cette nuit torride, dont le moindre danger est la noyade par bain purificateur et ablutions obligatoires après les errements conjugaux décrits plus haut. Donc, ce n’est pas la grève, cette histoire d’arrêt brusque de la lessive. C’est donc quoi, à votre avis, ce «foot’ou ma» balancé dans un souffle étouffé par l’embarras, les yeux rivés au sol ? A force de cogitations, vous tombez pile sur la plate évidence : pas de lessive intime signifie, tout bonnement, pas de règles et, donc, logiquement, votre moutard est en vue. La profondeur de la réflexion, ainsi que la rigueur du raisonnement pour aboutir à une déduction aussi implacable vous ont épuisé au bout d’un semestre. Il est grand temps de vous reposer, parce que l’enfant est là dans trois mois. Ça se prépare.
 

 

Le moment est donc venu de vous débarrasser de votre emmerdeuse d’épouse : depuis quelque temps, sans crier gare, elle multiplie chichis et malaises, dévore tout ce qui lui tombe sous le nez, réclame du dibi et des glaces vanille-chocolat à quatre heures du matin, hurle à la mort pour un oui ou pour un non, et vous saute dessus en pleine nuit, béthio en étendard et dialdialis sonnant l’assaut, juste au moment où vous entamez vos wirds. Y’en a marre. Vous la renvoyez chez sa mère, elle et sa bedaine triomphale, pour parfaire son éducation. Enfin, seul. L’esprit tranquille, vous pouvez vous concentrer sur le seul sujet qui vaille de se tirer une balle dans la tête : le baptême de votre aîné, qui se pointe dans deux mois et demi. Le destin de votre marmaille se joue à ce moment précis, parce que l’éclaireur ouvre la marche pour la suite. Et, enfin, surgit la question fondamentale, la seule, l’unique, celle par laquelle la gloire comme le scandale peuvent arriver : quel mouton acheter ? Pause pipi.
 

 

Si jamais vous vous hasardez le jour J à ne pas présenter une bête à cornes en boucles et testicules gonflés comme des baudruches, autant vous préparer à une fracassante demande de divorce séance tenante. Et dès le lendemain, vous pouvez faire vos bagages et émigrer sous des cieux où pas un seul Sénégalais ne réside : la nouvelle se sera répandue dans le monde via satellites et vous serez le sujet des discussions philosophiques les plus passionnées de toute la diaspora, sur le diom, jusqu’au prochain baptême loupé.
 

 

Trêve de pessimisme et attaquons le sujet par la race du mouton, qui déterminera jusqu’à la venue de l’imam. S’il est dans vos cordes de ramener à domicile un magnifique toubab-bérblanc immaculé dont les cornes indiquent la direction du Paradis, le sort en est jeté : vous pouvez lancer vos invitations même chez le khalife ! Tout le monde viendra prier sur le front rabougri de votre nouveau-né. Son destin est tout tracé. Il cavalera imparablement dans le tiercé des meilleurs humanoïdes. Le toubab-bér attaché dans la cour à deux mois de l’événement, à lui tout seul, est un redoutable plan com’. Ça va jaser, et personne ne voudra rater ça. Du khalife au va-nu-pieds, ils rappliqueront tous, pour s’empiffrer de lakh, de grillades, de beignets, de thiéb’ou yapp et de jus de fruits jusqu’à l’apoplexie, à des heures où même les crimes de sang sont tolérés. Bien entendu, (et c’est la seule vraie raison de cette ruée) vous distribuerez à la cantonade vos dernières économies, ainsi que celles de vos potes les plus crédules, planquées toutes ces années au fond de leur malle sous le lit. On n’est pas au pays de la sacro-sainte téranga pour rien. Ils sont venus par contingents s’en mettre plein les poches et le ventre : la tribu complète de vos marabouts, les grands et petits griots, les driankés bouffies et décolorées, les post-pubères, les goordjiguènes, les culs-de-jattes, les aveugles, les lépreux, les galeux, les chiens errants, les chats de gouttière, les rats, les cancrelats, la belle-famille… Le point d’orgue sera sans doute les âpres duels au cœur desquels vous découvrez la face cachée de votre épouse : vous peinez à reconnaître votre docile femelle, totalement métamorphosée en harpie… Le foulard en bataille, le sourcil impétueux, l’œil crachant l’éclair et le rictus mauvais aux coins des lèvres, elle sonne la charge et ouvre un feu roulant des térangas face à vos propres sœurs, que vous n’imaginiez pas aussi combatives. Ce n’est qu’à bout de munitions, lorsque vous avez atteint le point de non retour qui fera piquer une crise de nerfs à votre banquier dans la semaine, que les belles-sœurs ennemies déposent les armes en se donnant rendez-vous au coin du bois.
 

 

Le baptême de votre aîné, on en parlera longtemps encore dans les grands-places, surtout le jour où vos créanciers exaspérés déclareront votre faillite dans les faits-divers de la presse people.
 

 

Dieu merci, y’a pas que les toubab-bér dans la vie. Immoler un bali-bali, quand bien même cela réduirait considérablement votre standing, reste tout à fait honorable. Vous n’aurez certes pas droit à la tribu de votre marabout au grand complet, mais un représentant des plus convenables daignera se déplacer avec deux heures de retard, alors que les trois quarts des invités seront repartis vers leurs soucis quotidiens, totalement exaspérés. Pour rattraper le coup et susciter les prières passionnées de l’imam en présence, vous serez contraint de donner le nom de votre chérubin à une icône de l’islam, alors que vous le prédestiniez à votre papa, lequel attendra des jours meilleurs. Vous serez tout de même honoré de compter parmi les rescapés du désastre mondain, les griottes de seconde zone, les resquilleurs élégants, les précieuses demi-dieèk frivoles, les pique-assiettes imperturbables, un chat, deux ou trois rats d’égout,  une tribu de cafards et …la belle-famille. On fera semblant de ne pas s’ennuyer ensemble jusqu’au moment où les restes du dîner joncheront le sol jusque dans la rue. Et puis chacun partira en vous rançonnant sous la menace de raconter partout que votre enfant a bien mal démarré dans la vie. Pour limiter les dégâts, vous distribuerez à contrecœur les maigres ndawtals glanés le matin en vous rappelant la sagesse populaire :«si l’argent ne soustrait pas de la mort, il permet d’éviter la honte».
 

 

Les toubab-bér et les bali-bali étant réservés à l’inaccessible jet-set à laquelle vous n’appartenez manifestement pas, vous, vos boubous rapiécés trop courts, vos chaussures à larges sourires et votre odeur corporelle écœurante, même un vil peul-peul ramené du tiogalle plus malfamé des environs fera votre bonheur. Une sorte de «rèye-mou-dè, rèyoul-mou-dè» qui tient à peine sur ses courtes pattes et menace de rendre l’âme avant que le boucher ne lui fasse un sort. Il sauvera l’honneur pour avoir survécu à l’inanition juste le temps que le couteau lui soit posé sur la gorge, avant de tourner de l’œil définitivement. Bien entendu, si vous ne donnez pas le nom de votre marabout à l’enfant, rien ne les sauvera, lui et le reste du troupeau qui formeront votre smala. Ils seront irrémédiablement condamnés au triste destin de la chair à canon qu’on envoie défendre l’honneur national sous les ordres distants des doom’ou sokhna et doom’ou madame baptisés, eux, dans la mare du sang d’un toubab-ber, restés au cercle-mess à siffler des flûtes de champagne. Un malheur n’arrive jamais seul et donc, le jour sinistre de l’intronisation du spermatozoïde nominé à l’oscar génétique, personne ne daignera attendre toute une journée ce thiéb’ou yapp, quand il aura vu le rèyoul-mou-dèe décharné, immolé le matin même. Pour remplacer au pied levé le représentant de votre vénérable marabout empêché à la dernière minute, l’imam du quartier, réveillé en sursaut, la barbe pouilleuse et la saleté au coin de l’œil injecté de sang, débarquera en catastrophe. Le cérémonial est vite expédié, le maître de cérémonie n’ayant pas le cœur à se répandre en versets devant la seule moitié de votre belle-famille, alors que l’affaire se présente si mal : on finirait par croire que ses prières ne sont d’aucun effet.
 

 

C’est ainsi que vous inaugurerez votre série de coxeurs mal mouchés, d’apprentis Ndiaga Ndiaye énervés, de vendeurs de Café Touba rebelles et de gargotières acariâtres. Et dire que tout est parti d’un mouton malvenu… C’est pourtant toujours la même question centrale de votre place dans la société que vous vous posez, tous les ans, à une encablure de la tabaski : quel mouton acheter ? Cette fois, quand vous allez en pause dans les toilettes, ce n’est pas pour faire pipi…
 

 

Retour à la civilisation et ses turpitudes. Autant vous dire tout net que votre petit monde de bonnes femmes et de bambins peut tout vous pardonner, mais vraiment tout, sauf le ratage du mouton de tabaski : les flatulences inattendues, les scabreuses infidélités, les pétaradants ronflements, les transhumances inconsidérées, les retentissantes taloches… Si vous nouez un digne toubab-bér devant chez vous pendant deux mois jusqu’à la sanglante fête, bouclez vos valises, nouez votre cravate et guettez les soupirs présidentiels : vous êtes ministrable et venez d’acquérir le statut enviable de polygame présomptif que même votre unique épouse ne vous contestera pas jusqu’à la prochaine tabaski. Vous serez aussi de tous les duels de la jet-set durant l’année en cours, dont une logique oumra à La Mecque. Eligible à n’importe quel statut miraculeux pour une année entière, vous avez intérêt, dès que le mouton sera égorgé, à planquer de quoi remettre ça l’an prochain… Le plus difficile est de durer.
 

 

Parce que le jour où vous arriverez en nage, à une semaine de la tabaski, avec derrière vous un bali-bali moins majestueux, il y a de menus avantages qui sauteront séance tenante : par exemple, pour votre épouse et votre progéniture, plus question de supporter les taloches retentissantes, les infidélités minables, les gaz obscènes comme les éructations sordides. On tolèrera à peine que vous vous fassiez épouser par une drianké de renom, à moins que sa proximité ne relance le standing familial. Evidemment, vous êtes privé de sortie : basta, vos randonnées dans les fiefs des Vip ! Et effacez-vous de l’esprit votre oumra annuelle. Signe des temps, votre épouse se terre de honte depuis trois mois et vos enfants ne sont pas allés à l’école pendant une semaine, alors que votre belle-famille clame partout combien elle n’a jamais été enthousiaste à vous accorder la main de sa fille.
 

 

Mais il y a pire. Lorsque vous aurez rappliqué in extrémis un matin de tabaski avec votre peul-peul flageolant sous le bras, estimez-vous chanceux d’être accepté à domicile. C’est un miracle, si vous êtes encore vivant le lendemain, après avoir inspiré des envies de meurtre à votre épouse qui a puisé dans les ressources extrêmes de sa vertu toute la nuit pour ne pas vous immoler. On en a tués pour moins que ça. Comme il faut s’y attendre, même si vous ne divorcez pas, c’est du pareil au même : finis mamours et galipettes jusqu’à la tabaski suivante, si jamais la rédemption vous est accordée. Tout s’enchaînera l’un dans l’autre : vos enfants vous reconnaîtront à peine, votre belle-famille lancera un appel à concurrence pour votre succession, votre employeur recevra sous pli anonyme des informations assez circonstanciées pour vous virer comme le malpropre que vous êtes, votre père vous déshéritera pour avoir jeté l’opprobre sur sa lignée, et votre mère sera répudiée parce qu’elle aura mis au monde un vaurien. Tchim, niakka diom !
 

 

Quand je vous disais que votre mouton de tabaski était la question centrale de votre vie en société…


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