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Président Macky, il faut sauver des vies plutôt que l’année scolaire

EDUCATION
Mardi 19 Mai 2020

Dans sa dernière adresse à la Nation du lundi 11 mai 2020, le président Macky Sall a fait une importante déclaration visant principalement à apprendre à « vivre avec le virus » du COVID19 à travers une panoplie de décisions d’assouplissement des mesures déjà prises dans un message précédent prononcé au tout début de l’invasion du Sénégal par l’épidémie. Parmi les nouvelles décisions présidentielles, il y a celles concernant l’Ecole, qui méritent qu’on s’y arrête un peu. Des décisions inopportunes, dangereuses et sujettes à caution.

Pour l’avoir beaucoup pratiqué, nous connaissons l’Etat sénégalais démuni, besogneux et assez tatillon pour respecter la batterie de mesures annoncées (mise à disposition au profit des établissements scolaires, en quantités suffisantes, d’appareils de thermo-flash, de masques, de gels hydro-alcooliques et de machines de lavage des mains) tout en respectant la distanciation physique dans les écoles. Le moins qu’on puisse dire est que c’est loin d’être gagné, au regard du manque de rigueur et de sérieux qui caractérise nos autorités et qui en constituent même l’ADN. A supposer que ces mesures venaient à être appliquées, ce serait à géométrie variable sur l’étendue du pays.

Personne ne pourra nous convaincre que l’équité sera au rendez-vous et que ce qui est valable pour les établissements de l’agglomération de Dakar le sera pour les autres répartis partout dans le pays. Mais, là n’est pas le problème. Le grand danger pour l’élève se trouve au niveau du trajet aller et du trajet retour, pour se rendre à l’école ou pour rentrer à la maison.

Tant que la consigne « Restez chez vous » était en vigueur, les parents d’élèves avaient la situation en mains, qu’ils maîtrisaient parfaitement, malgré quelques dérapages (randonnées à la plage, escarmouches des jeunes de la Médina, etc.). Les parents d’élèves surveillaient et contrôlaient tant bien que mal leurs enfants. Mais une fois que ces derniers vont retourner à l’école, ils sont hors de contrôle de leurs parents. Et c’est à ce niveau, entre l’école et la maison, où les parents et les autorités de l’école sont absents, que résident tout le danger ainsi que les mille et une situations à risque pour l’élève de choper le virus puis de le transmettre à ses parents restés prudemment et sagement à la maison, à ses enseignants, à ses camarades-élèves ainsi qu’aux personnels auxiliaires de l’école. Bonjour les dégâts. Voilà une perspective redoutée et redoutable pour tout ce beau monde.

Imaginez un peu les parents d’élèves, désormais peu rassurés de recevoir à la maison leurs enfants revenus de l’école, condamnés à les accueillir maintenant, non plus à bras ouverts, avec des embrassades et autres gestes d’affection, mais avec des attitudes dédaigneuses du genre « Boulma laal boulma diégué », « Vas d’abord te laver les mains avec de l’eau et du savon !», « Enduits-toi les mains avec du gel hydro-alcoolique ! », « Enlèves tes habits !…Patati Patata ». Imaginez le coup dévastateur porté au côté affectif de la relation parent-enfant. Un désastre. Peut-être que le gouvernement du Sénégal arrivera à sauver l’année scolaire. Aux forceps. Mais en même temps il fera voler en éclat l’équilibre familial.

A l’image du consensus friable, éphémère et circonstanciel entre le pouvoir et l’opposition, avec les audiences-comédie au Palais, au tout début de l’épidémie et qui s’effrite de jour en jour (démission de Habib Sy du Comité de suivi de la distribution des vivres, sortie violente de Ousmane Sonko contre Macky Sall, etc.). Par ailleurs, l’on est sidéré d’apprendre que le Comité de gestion des épidémies a été pris de court par les dernières décisions du chef de l’Etat, le président Macky Sall. Un scandale ! Mais, outre le volet sanitaire lié à la (mauvaise) gestion du COVID-19, le volet pédagogique à l’école est tout aussi catastrophique. Quid de la gestion du temps de la récréation ? De l’accès aux toilettes ? Les élèves qui ne sont pas dans des classes d’examen sont invités à suivre le concept « Apprendre à la maison », avec comme médiums la télévision et l’Internet.

Mais, au regard du faible taux d’électrification rurale dans le pays, avec seulement 42 à 43 % des ménages sénégalais en zones rurales qui ont accès à l’électricité, en plus du fait que toutes les familles sénégalaises ne disposent pas de poste téléviseur, pas plus qu’ils n’ont un accès à l’Internet, cette solution n’est pas viable. Ce serait même ajouter aux inégalités déjà trop criardes et aux fractures sociales trop béantes dans ce pays. C’est encore le Sénégal qui roule à plusieurs vitesses à cause de l’incurie de nos gouvernants, adeptes du pilotage à vue et de leur chef, le président Macky Sall, qui manque cruellement de vision, à moins que s’il en ait, que celle-ci s’arrête tout juste à Diamniadio. Comme le raille un rhéteur, avec une pointe d’ironie pleine de causticité, « Avec une dizaine de cas testés positifs et zéro mort au Sénégal à la mi-mars, le président Macky Sall décide de fermer les écoles et les universités ; avec plus de deux mille cas positifs et une vingtaine de morts à la mi-mai, le président Macky Sall décide de la réouverture des écoles ».

Comprenne qui pourra. Cette résignation du président Macky Sall, après seulement deux mois et demi de combat, et qui consiste à inviter les Sénégalais à « apprendre à vivre avec le virus », avec la réouverture des marchés, des écoles et des lieux de culte, pendant que la propagation du virus est loin d’atteindre son pic, alors qu’il n’y a guère longtemps lui le chef de l’Etat engageait ses concitoyens à participer à ce qu’il avait appelé « la guerre contre le COVID-19 », ressemble à la débandade d’une armée qui bat en retraite. Car le général Macky Sall, impuissant et dépassé par les évènements, a tout simplement abandonné le combat et a fait laisser tomber le drapeau.

 L’ancien Premier ministre Abdou Mbaye et le leader de PASTEF Ousmane Sonko, qui s’entendent comme des larrons en foire, se sont passé le mot pour parler à l’unisson de « démission de président Macky Sall » face à l’adversité du Coronavirus. Maintenant, s’il s’avère que dans cette décision de réouverture des écoles, c’est encore et toujours pour respecter le mimétisme aveugle et niais de la France, le pays de « nos ancêtres les gaulois », il faut savoir qu’en France c’est le principe de volontariat qui y est de mise. On a demandé aux parents d’élèves français leur avis sur le retour de leurs enfants à l’école. Mais au Sénégal c’est le tâtonnement et les décisions à l’emporte-pièce. Mais ce n’est pas tout. Les éminences grises du Palais ont aussi proposé le système de distribution des cours sous forme de photocopies pour les élèves des classes dispensées d’examen de fin d’année.

Encore une fausse solution pour un vrai problème. De fait, on ne sait pas, par quelle alchimie ou par quel tour de passe-passe, ces documents de cours photocopiés arriveront à destination, entre les mains des intéressés. Des questions sont soulevées. Qui va expliquer aux élèves les cours photocopiés ? Auront-ils des répétiteurs ? Il y a aussi des risques de retrouver ici et là les mêmes problèmes, sinon plus, que ceux rencontrés dans le cadre de la distribution des vivres. Pire, il y a derrière, des marchés juteux (fourniture du papier, photocopies des cours, distribution sur toute l’étendue du territoire sénégalais) qui vont échoir à des privilégiés (Ah ! Les veinards !) Qui vont mettre le grappin sur le pognon soutiré à la nébuleuse FORCE COVID 19, pour des résultats improbables. Encore une stratégie pour enrichir davantage des affairistes, dans cette République des copains et des coquins.

A terme, on risque d’avoir le syndrome du SIDA, qui a fait vivre et rendu riches comme Crésus plus de gens qu’il en a tués. Parfois, on a l’impression que le président Macky Sall n’a pas de (bons) conseillers, au regard des décisions très pauvres qu’il prend tout le temps. Déjà, pour cette décision de retour à l’école, c’est lui, le chef de l’Etat, qui devrait donner le ton.

Reprise des activités pour reprise des activités, le président Macky Sall serait bien inspiré de commencer par reprendre les réunions physiques et hebdomadaires du Conseil des ministres au Palais de la République. C’est trop facile d’exposer la vie des élèves, des parents d’élèves, des enseignants et consorts au danger permanent de contracter le virus par une reprise prématurée des cours, alors que lui Macky Sall et ses ministres continuent de se barricader derrière l’option télétravail. Surtout qu’il y a là moins de risques pour eux, les happy few, que chez les élèves. Charité bien ordonnée commence par soi-même.

C’est à la limite de la lâcheté. Le « manque de courage » dont a parlé Ousmane Sonko revêt ici tout son sens et toute sa pertinence. Maintenant, si c’est la phobie d’une année blanche qui colle la trouille et la frousse au président Macky Sall et à son gouvernement, il faut qu’ils se mettent dans la tête qu’une éventuelle année blanche due à un impondérable et une calamité comme le COVID-19 n’a pas la même résonnance qu’une autre année blanche, comme celle de 1988 par exemple, imputable au régime du Parti Socialiste du Président Abdou Diouf qui avait plongé le Sénégal dans le chaos avec l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu, suites aux violences postélectorales, après un scrutin entaché d’irrégularités, de fraudes massives et d’une vague d’arrestations d’opposants. Le pays était à l’arrêt, d’où une année blanche dans l’Ecole et l’Université sénégalaises.

Là par contre, avec le COVID-19, l’année blanche est dictée par une situation objectivement hors de portée du gouvernement. Le régime du président Macky Sall est moins en faute ici, dans la survenue d’une éventuelle année blanche. Même s’il se dit, de part et d’autre, qu’on pouvait éviter l’ampleur de l’épidémie si l’Etat du Sénégal avait pris le problème au sérieux au début et avait pris à temps les bonnes mesures comme la fermeture de nos frontières poreuses, pour réduire les cas importés et le relèvement du plateau médical dans nos hôpitaux. Il a fallu que le COVID-19 arrive au Sénégal pour qu’on apprenne avec effarement que le Service des maladies infectieuses de l’hôpital Fann ne disposait que de douze (12) lits.

Aussi, c’est comme si l’inscription d’une année blanche dans le bilan du régime du président Macky Sall reste une tache indélébile et une honte qui le rend fou et déraisonnable, alors que l’essentiel des critères pour valider une année scolaire est loin d’être réuni, alors que le danger est encore là, suspendu au-dessus de nos têtes comme une épée de Damoclès, menaçant d’anéantir à tout moment et de rendre inopérantes toutes les mesures saugrenues et aberrantes, prises à la va-vite de surcroît. Dans leur embardée, le président Macky Sall et son gouvernement ont perdu le sens de la réalité et perdu leur sang-froid. Les postures-clés dictées par la situation invitent l’adoption d’une autre attitude.

Pourtant, dans son fameux discours du lundi dernier, le président Macky Sall a bien dit qu’au meilleur des cas l’épidémie sera encore là dans les quatre prochains moins. Cela nous mène tout droit au mois d’octobre. C’est donc l’occasion pour l’Etat du Sénégal de prendre son temps et de mettre les moyens adéquats pour bien préparer, sérieusement, minutieusement, méticuleusement et méthodiquement la rentrée scolaire du mois d’octobre, après avoir son courage à deux mains et la décision lucide et justifiée de faire table rase sur l’année scolaire en cours. Là réside la solution la plus sage et la plus raisonnable pour préserver des vies humaines qu’on connait très précieuses. Des vies humaines infiniment plus précieuses que les logiques économiques, les contingences scolaires ou le fait religieux.

Des gouvernants sérieux et responsables n’ont pas le droit de céder, ni à la panique, ni à la pression, de quelque forme qu’elle soit et d’où qu’elle provienne, au risque d’exposer inutilement des vies humaines. Tant qu’à faire, nous préférons sauver nos chères vies que de sauver une année scolaire bancale dans une Ecole sénégalaise qui compte encore plus de 6000 abris provisoires en 2020.
 
Pape Samb
 

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