Le Projet Pastef, porté au pouvoir par une promesse de rupture et d’alternative, ne pourra pas échapper à cette loi de gravité politique : gouverner, c’est délivrer. Délivrer des routes praticables, des écoles et des hôpitaux équipés, une justice crédible, un quotidien moins éreintant pour les goorgorlous… Délivrer des résultats, pas seulement des slogans. Certes le Sénégal n’a pas atténué son effervescence démocratique, au contraire : débats passionnés, oppositions virulentes, repositionnements permanents n’ont pas fini de foisonner....
La vitalité politique est un signe de bonne santé républicaine mais elle devient contreproductive quand elle détourne toute l’attention de l’essentiel : la délivrance des résultats promis Or aujourd’hui, le risque est réel de voir l’agenda de transformation du Projet dévoyé par des coteries d’intrigants et englouti par les petites phrases, les chamailleries et le réflexe de l’adversité permanente….
Et en attendant les chantiers immenses attendent ! Le Pastef porté au pouvoir par une vague de renouvellement démocratique, s’est engagé sur une ligne de rupture : rendre l’État plus juste, plus efficace et plus souverain. C’est un cap ambitieux mais ce cap ne sera crédible qu’à une condition : délivrer, délivrer vite, délivrer bien et délivrer là où le citoyen ordinaire attend des résultats tangibles, Mais à la vérité aucune réforme ne se délivre toute seule. L’histoire récente du Sénégal est jalonnée de visions, de plans et de réformes prometteuses : le Plan Sénégal Émergent (PSE), ses Plans d’Actions Prioritaires successifs, des stratégies sectorielles bien rédigées… mais souvent mal ou à moitié exécutées. La faute à qui à quoi ? Sans doute pour une part à des hommes court en compétences ou en intégrité mais aussi et surtout à une culture administrative où la planification est survalorisée et l’exécution mal ou sous-outillée.
Les régimes succombent le système se conserve. L’inertie administrative reste puissante : lenteurs, cloisonnements, résistances, manque de coordination, déficit de redevabilité etc. Sans méthode d’exécution, même les idées les plus ambitieuses se perdent dans les dédales de l’appareil d’État. Ce déficit d’exécution n’est pas une fatalité. C’est une faiblesse de méthode, de discipline et parfois de courage politique. Certains pays l’ont compris. La Malaisie, au plus fort de sa mutation économique, avait créé PEMANDU, une unité d’exécution pour débloquer les réformes prioritaires.
Rattachée directement au Premier Ministre, dotée d’experts technocrates recrutés pour une mission claire : traduire les plans nationaux en résultats concrets. À coups de ‘labs’ participatifs, PEMANDU a su mobiliser ministères, secteur privé et société civile pour identifier blocages, lever les résistances et fixer des délais réalistes. Le Rwanda, plus près de nous, combine contrats de performance et cellule de livraison à la Primature pour s’assurer que ce qui est décidé se réalise vraiment. L’idée est simple : chaque ministre s’engage sur des cibles précises. Les progrès sont vérifiés, publiés, discutés et sanctionnés le cas échéant. Résultat : la discipline d’exécution est devenue une partie de l’ADN administratif du pays.
Dans le contexte du Sénégal, l’idée n’est pas de créer encore un gadget technocratique de plus redondant avec des structures déjà existantes - rationaliser sans doute. Une ‘Delivery Unit’ (non pas à la Tony Blair) mais bien conçue peut servir d’aiguillon pragmatique : une cellule restreinte adossée à la Présidence ou à la Primature, chargée de suivre une poignée de réformes prioritaires a fort impact, de lever les blocages bureaucratiques, d’arbitrer les querelles de compétences entre ministères, d’être un catalyseur de réunions de ‘problem - solving’, d’assurer un suivi rapproché et indépendant des réformes prioritaires et surtout de produire des rapports publics réguliers pour que chaque citoyen puisse mesurer ce qui avance… ou pas. Pour enfin offrir au leadership un outil de pilotage agile.
Et la réussite d’un tel dispositif ne tiendra pas aux consultants étrangers ou aux Powerpoints bien léchés, elle découlera du courage politique à accepter la transparence, à exiger la reddition de comptes et à sanctionner l’inaction. Une ‘Delivery Unit’ n’est pas là pour remplacer l’administration : elle est là pour rappeler à tous que gouverner, ce n’est pas seulement promettre c’est délivrer. Ce pays est à la croisée des chemins. Il est temps de choisir : ou s’égarer dans des luttes intestines superfétatoires et suicidaires ou engager une réelle bataille contre l’inefficacité. Continuer à nourrir la défiance des citoyens avec des promesses qui ne seront pas tenues ou construire la confiance sur la preuve des résultats. Continuer à faire de la politique un sport de combat ou de posture, ou la remettre à sa place : un instrument pour organiser la vie collective autour de priorités claires et partagées.
À réaliser. Les chicaneries ne construiront pas de routes. Les invectives n’électrifieront pas les zones rurales. Les rivalités de coteries ne généreront ni emplois ni confiance. Un pays ne se gouverne pas dans la tourmente et la controverse avec des chroniqueurs incultes ! Il se gouverne par la capacité et la détermination à transformer une promesse en résultat. Le Sénégal n’a jamais manqué d’idées ni d’experts. Il lui manque surtout une chose : une culture de l’exécution.
À l’heure où la fenêtre d’espérance ouverte par le Projet Pastef est encore relativement intacte, il est urgent de ne pas la dilapider. Dans moins de quatre ans, ce qui restera ne sera ni les outrages des faucons de tout bord, ni les bisbilles des contempteurs, ni les flagorneries des courtisans : ce sera la question simple que tout citoyen posera : Qu’avez-vous donc délivré. Ce pays n’a plus de temps à perdre. Il en a déjà trop perdu. Ceux qui se sont battus pour incarner le changement ont désormais une seule obligation : Délivrer. Et être jugés sur pièces.
