Ce film prolonge le cri écologique que Cissé avait lancé dès 2014 depuis les montagnes de déchets de Mbeubeuss, avec Mbeubeuss ou le terreau de l’espoir. Ancien architecte, il recycle ici des objets et matériaux glanés dans les bidonvilles dakarois pour reconstituer, au Village des arts, une cité née de l’exode et de la misère. Deux années de préparation, pour trois semaines de tournage.
À l’écran, cette cité fictive s’inspire librement d’un lieu réel : la tristement célèbre « Cité imbécile » du quartier Hann-Bel Air, rasée en juillet 2023 dans le cadre du programme gouvernemental « Zéro bidonville ». Cissé, témoin de sa destruction, y avait lié amitié avec plusieurs de ses habitants, devenus sources d’inspiration pour son film. Mais dans La Mémoire du manguier, tout est transfiguré. Exit les drogues, l’alcool, les armes. La violence se résume à quelques larcins commis par un baby-gang nommé les Hyènes, dirigé par Gavoss – un chef de bande au grand cœur, cancre attendrissant.
La sérénité de cette cité tient à la figure de l’imam Habibi, incarné avec profondeur par l’acteur sénégalais Ibrahima Mbaye, déjà salué à Cannes en 2019 pour Atlantique de Mati Diop (Grand Prix du Jury). Grâce à la photographie poétique d’Amath Niane et à la musique envoûtante de Jean-Philippe Rykiel, le film dégage un parfum d’harmonie, de douceur et de grâce. « La poésie est en nous, les humains », confie le réalisateur, « et j’ai voulu restituer l’humanité contrainte de vivre dans ces taudis faits de carton et de détresse. » Outre son interprétation « verte » de la Sourate des fourmis, l’imam Habibi perpétue un rituel ancestral lébou : le Ndeup, cérémonie de guérison spirituelle issue d’une cosmogonie profondément écologiste.
Le manguier devient alors mémoire vivante de la tradition, point d’ancrage d’un islam qui n’éclipse pas les croyances anciennes. Hélas, ce gardien de paix finira par s’égarer, oublié des heures de prière, frappé par une maladie neurologique portant le nom d’un médecin allemand… Mais dans cette cité réinventée, tout renaît. Les habitants eux-mêmes la rebaptisent « Cité des apprenants ». Et le film, nourri d’espoir, s’apprête à parcourir le circuit des festivals internationaux, avec une avant-première prévue à Dakar en janvier prochain. Inch’Allah.
