L’attaque du 1er juillet 2025 à Diboli, dans la région de Kayes, à quelques kilomètres de la frontière sénégalaise, illustre la montée en puissance inquiétante du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM). Selon le Dr Bakary Sambe, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et directeur régional du Timbuktu Institute, cette offensive révèle une nouvelle phase stratégique du groupe terroriste, alliant puissance de feu, maîtrise territoriale et guerre psychologique à l’échelle régionale.
Des opérations coordonnées à haute valeur symbolique et tactique
Les attaques simultanées à Diboli, Gogui, Niono, Molodo, Sandaré et Nioro du Sahel, menées par la Katiba Macina, témoignent d’une capacité de coordination tactique avancée. Le JNIM exploite le vide sécuritaire laissé par le désengagement des forces internationales (MINUSMA, Barkhane), l’inefficacité de certaines alliances régionales, et les failles logistiques de l’État malien. Ces attaques, très localisées mais hautement symboliques, visent des axes stratégiques de ravitaillement vers Bamako et des points frontaliers sensibles aux échanges commerciaux et aux trafics.
Selon Bakary Sambe, ces opérations ne relèvent pas seulement d’une logique militaire :
« Elles traduisent la volonté du JNIM de s’imposer comme un acteur alternatif, capable de capter les frustrations sociales et d’exercer un contrôle économique sur les zones délaissées par l’État. »
Une emprise territoriale et communautaire de plus en plus assumée
Le JNIM combine violence ciblée, propagande digitale (via Telegram et les réseaux sociaux en langues locales) et ancrage communautaire. Il instrumentalise les tensions locales et les griefs historiques pour renforcer son emprise. En se positionnant comme fournisseur d’ordre, de justice ou de revenus, il attire toujours plus de recrues et impose une forme d’autorité de substitution, notamment dans les domaines de l’élevage, du bois, ou même du commerce transfrontalier.
Le Dr Sambe alerte :
« Le succès du JNIM repose sur une lecture fine des vulnérabilités socio-économiques et sur sa capacité à s’adapter. Il ne s’agit plus d’un simple groupe armé, mais d’un acteur politique et économique dans les zones grises. »
La menace s’étend vers le Sénégal, la Mauritanie et au-delà

La proximité géographique de Diboli avec Kidira au Sénégal et de Gogui avec la Mauritanie alimente les craintes d’une contagion sécuritaire régionale. Kayes, région historiquement marginalisée, devient une zone tampon où l’État peine à s’imposer. L’absence de coopération sécuritaire efficace à la trijonction Mali–Sénégal–Mauritanie constitue une faille majeure.
« Le JNIM anticipe. Il s’inscrit dans une stratégie de long terme visant à encercler Bamako, à fragmenter le territoire malien et à exporter l’instabilité vers les pays voisins, » analyse Bakary Sambe.
Une réponse exclusivement militaire serait une erreur stratégique
Malgré quelques succès tactiques des Forces armées maliennes (FAMa), comme à Niono, la dynamique reste défavorable. Le recours accru à des partenaires comme Wagner puis Africa Corps ne résout pas la crise de fond.
« Il faut éviter l’erreur de penser que cette guerre asymétrique peut être gagnée uniquement par les armes, » avertit Sambe.
« Une réponse coordonnée, intégrant la coopération transfrontalière, le renseignement, la prévention communautaire et des investissements massifs dans la résilience économique est indispensable. »
Vers une guerre hybride et communautarisée ?
Enfin, Bakary Sambe alerte sur une mutation préoccupante de la menace terroriste :
« Le risque est grand de voir la lutte contre le terrorisme se transformer en conflits intercommunautaires. Le JNIM s’enracine de plus en plus localement, brouillant les lignes entre insurrection religieuse, contestation sociale et reconfiguration politique. »
La région de Kayes comme baromètre d’une menace transnationale
Les événements du 1er juillet 2025 ne sont pas isolés. Ils signalent une transformation de la violence terroriste au Sahel : plus diffuse, plus locale, mais aussi plus stratégique. La région de Kayes, longtemps considérée comme périphérique, devient un front avancé de la déstabilisation du Mali et de la projection régionale du JNIM.
Pour y faire face, le Sénégal, la Mauritanie et la CEDEAO doivent urgemment renforcer leur coordination, anticiper l’expansion de la menace et investir dans la prévention et la résilience. Car sans vision régionale partagée, la guerre contre le JNIM risque de devenir un piège sans fin.