Quand Ousmane Sonko choisit la rupture radicale
Tout bascule fin septembre 2024. Alors que le président Bassirou Diomaye Faye participe à sa première Assemblée générale des Nations unies à New York et rencontre la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, sur la base d’un discours rassurant sur l’état des finances publiques, Ousmane Sonko convoque à Dakar sa première grande conférence de presse comme Premier ministre.Durant plus de trois heures, il dénonce un « système de corruption généralisée » installé par l’ancien régime, accuse Macky Sall d’avoir manipuler les chiffres et de « mentir au peuple et aux partenaires ». À ses côtés, son ministre de l’Économie de l’époque, Abdourahmane Sarr, dévoile des estimations de déficit et de dette largement supérieures aux chiffres officiels, ouvrant la voie au terme désormais consacré de « dette cachée ».
Cette prise de parole, très politique et médiatisée, prend à contre-pied la ligne plus prudente que défendaient Diomaye Faye et son ministre des Finances Cheikh Diba, qui redoutaient les conséquences d’un « choc de vérité » brutal sur les marchés et sur les négociations en cours avec le FMI.
Cheikh Diba, entre continuité de l’État et ligne dure de Sonko
Les révélations de Jeune Afrique, reprises par plusieurs médias sénégalais, ont revele les hésitations et les réserves de Cheikh Diba face à la stratégie de rupture frontale choisie par le Premier ministre.Ancien haut cadre du ministère des Finances sous Macky Sall – conseiller technique sur le Plan Sénégal Émergent, coordonnateur du programme économique avec le FMI, puis directeur de la programmation budgétaire – Cheikh Diba connaissait mieux que quiconque les arcanes de la dette publique sénégalaise.
Selon Jeune Afrique, lorsque Ousmane Sonko manifeste sa volonté de rendre public le premier rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) sur la situation réelle des finances, Cheikh Diba aurait présenté sa démission, anticipant le séisme politique, économique et institutionnel qu’une telle divulgation pourrait provoquer.
Le Premier ministre refuse la démission, et c’est finalement Bassirou Diomaye Faye qui convainc son ancien camarade de l’ENA de rester en place. L’épisode révèle un point crucial : sur la dette cachée, le ministre des Finances et le chef du gouvernement ne sont pas alignés sur la manière de dire la vérité ni sur le tempo de la transparence.
Bassirou Diomaye Faye, médiateur discret entre vérité comptable et stabilité
Le président Bassirou Diomaye Faye se retrouve rapidement au centre d’un triangle délicat : d’un côté, un Premier ministre qui assume une stratégie de dévoilement public et de confrontation ; de l’autre, un ministre des Finances soucieux de préserver la crédibilité de l’État, la confiance des partenaires et la continuité des institutions.Toujours selon Jeune Afrique, Diomaye Faye aurait d’abord privilégié une gestion plus technocratique et discrète de l’audit, afin de renégocier calmement avec le FMI, sans créer de panique ni sur le marché financier, ni dans l’opinion. Mais une fois la dette révélée au grand jour par Sonko, le chef de l’État n’a plus d’autre choix que d’assumer la ligne de son Premier ministre, tout en continuant les discussions techniques avec Bretton Woods.
C’est ce double mouvement – discours politique de rupture à Dakar, négociations complexes et pointilleuses avec le FMI – qui explique en partie pourquoi, plus d’un an après, aucun nouvel accord n’a encore été finalisé avec l’institution, qui évalue aujourd’hui la dette publique sénégalaise à environ 132 % du PIB, soit l’un des niveaux les plus élevés du continent.
Une dette « cachée »… mais connue de nombreux responsables ?
L’autre enseignement majeur des révélations récentes concerne le nombre de cadres, anciens ou actuels, qui savaient – au moins en partie – à quoi s’en tenir sur la trajectoire réelle de la dette. Jeune Afrique souligne que certains responsables encore en poste aujourd’hui, dont Cheikh Diba, occupaient déjà des fonctions stratégiques à l’époque de Macky Sall, notamment sur le suivi budgétaire et la relation avec le FMI.De son côté, Ahmadou Al Aminou Lo, ancien directeur national de la BCEAO pour le Sénégal et aujourd’hui ministre auprès du président chargé du suivi de l’Agenda « Sénégal 2050 », a déclaré publiquement avoir alerté l’ancienne équipe gouvernementale sur les incohérences et les risques liés à l’accumulation de dettes hors des radars statistiques.
Ces éléments posent une question dérangeante : si la dette n’était pas totalement « cachée » au sein de l’appareil d’État, où s’arrête la responsabilité de l’ancien régime et où commence celle des technocrates qui ont accompagné, parfois en silence, la dérive des chiffres ?
Sonko, Diba, Diomaye : trois lignes, un même défi
Au final, l’affaire de la dette cachée met en lumière trois lignes distinctes au sommet de l’État:- Ousmane Sonko, qui fait de la dette un symbole politique central de la rupture avec l’ancien régime, quitte à crisper les bailleurs et à bouleverser les équilibres institutionnels.
- Cheikh Diba, technocrate chevronné, partagé entre loyauté à l’État, prudence vis-à-vis des marchés, et nécessité d’assumer – au moins partiellement – l’héritage de la période Macky Sall.
- Bassirou Diomaye Faye, président arbitre, contraint de composer entre la vérité politique portée par Sonko et la vérité technique pilotée par Diba, tout en gardant un cap : éviter que le Sénégal ne bascule dans une crise financière incontrôlée.
Une chose est sûre : l’épisode a déjà redessiné les rapports de force au sommet de l’État, et les révélations sur Cheikh Diba, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye ne sont peut-être que le premier acte d’un dossier qui continuera à dominer le débat public sénégalais dans les mois à venir.
