Mais quinze mois plus tard, le climat a changé. Les espoirs nés de l’alternance et de la découverte de nouveaux gisements gaziers et pétroliers ont laissé place à une forme d’impatience dans l’opinion publique, notamment chez les jeunes. Le contexte difficile – hérité du régime précédent – n’a pas aidé : dette cachée révélée, système éducatif chaotique, chômage massif, hôpitaux sous-dotés…

L’un des gestes les plus marquants du nouveau pouvoir a été la révélation de l’ampleur de la dette cachée, en septembre dernier. Pour Mamadou Diouf, il s’agit là d’un acte fort, révélateur de la volonté du gouvernement de rompre avec les pratiques opaques du passé, mais aussi de sortir des logiques imposées par les bailleurs de fonds internationaux.
« Dévoiler la dette cachée, c’est aussi dénoncer les combines des institutions internationales et des pays donateurs qui, souvent, couvrent des pratiques illégales pour préserver leurs intérêts. »
Selon lui, cela fait partie intégrante du combat pour la transparence, même si les répercussions économiques à court terme peuvent être difficiles à gérer.
Mamadou Diouf ne nie pas les lenteurs dans la mise en œuvre des réformes promises. Mais il appelle à la nuance :
« Ils ne peuvent pas éternellement se retrancher derrière l’héritage du passé. Ils ont été élus pour apporter des solutions. Mais après quinze mois, on ne peut pas non plus les blâmer de ne pas avoir tout réglé. Ils sont encore dans une phase de recherche. »
Entre l’imaginaire politique mobilisateur de la rupture et la complexité du réel, les nouvelles autorités doivent maintenant faire leurs preuves, tout en restructurant les fondations d’un État en crise.
Crise politique ou recomposition stratégique ?
La récente déclaration d’Ousmane Sonko – « Je suis le chef de la majorité, je ne quitterai jamais ce poste » – a déclenché une onde de choc politique. Cette charge directe contre le président Diomaye Faye a ravivé les doutes sur la cohésion du pouvoir exécutif. Mais pour Mamadou Diouf, cette tension doit être lue dans une perspective historique plus large : celle de la difficulté structurelle à faire cohabiter deux figures fortes dans un régime présidentialiste, dans un pays où les institutions peinent à garantir l’équilibre des pouvoirs.
Plus largement, l’historien voit dans cette séquence politique une manifestation du réveil panafricaniste qui traverse l’Afrique de l’Ouest, et notamment la jeunesse. Selon lui, le rapport du Sénégal à la France entre dans une phase de redéfinition, que les initiatives diplomatiques de Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko incarnent clairement.
« Le récit de notre relation avec l’Hexagone ne peut plus être raconté uniquement du point de vue français. La rupture en cours est un mouvement vers une souveraineté réelle, sans pour autant rejeter toute coopération internationale. »
En cela, le Sénégal s’inscrit dans une dynamique plus large, aux côtés des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), qui entendent reprendre le contrôle de leurs récits, de leurs économies et de leurs trajectoires politiques.