« Je ne m’ennuie pas. Cela se passe très bien. Je représente le chef de l’État sur des dossiers qu’il souhaite me confier, je le conseille sur un champ de compétences assez large », raconte-t-elle confortablement installée dans sa résidence située face à la mer, dans le quartier de Ngor Virage, à Dakar, où elle a reçu Jeune Afrique à la fin du mois de juin. Mais elle insiste aussi sur un point : toutes ces activités « ne font pas nécessairement l’objet de communication publique ».
Retour au palais présidentiel
La nouvelle fiche de poste de « Mimi » Touré comporte aussi de nombreux voyages à l’étranger, où elle prend la parole au nom du chef de l’État, voire au nom du Sénégal, dans les colloques ou symposiums internationaux auxquels elle participe. Fin juin, Aminata Touré a ainsi participé à la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement, en Espagne. Une rencontre organisée par le Club de Madrid, une organisation non partisane qui rassemble d’anciens chefs d’État et de gouvernement, dont elle est membre. Un mois plus tôt, c’est elle qui a représenté Bassirou Diomaye Faye lors des célébrations du cinquantième anniversaire de la Cedeao, qui se sont tenues fin mai à Lagos, au Nigeria.
Bien qu’étant sans portefeuille, ni cabinet, Mimi Touré ne cache pas sa satisfaction d’être de retour dans les couloirs de la présidence. Une récompense pour son rôle au sein de la coalition « Diomaye Président 2024 ». Alors que Macky Sall avait décidé de reporter la présidentielle initialement prévue pour février 2024, l’ancienne fonctionnaire onusienne avait alors pesé de tout son poids et fait jouer son carnet d’adresses pour alerter la communauté internationale sur le « dangereux précédent » que représenterait l’annulation du scrutin.
Oui, j’avais critiqué Ousmane Sonko en 2022. Nous étions concurrents. Mais il y avait un risque de basculement du pays dans l’inconnu.
Opposée au troisième mandat
Alors que l’ancienne Première ministre estimait que le fauteuil de la présidence de l’Assemblée nationale devait lui échoir, c’est Amadou Mame Diop, un proche de la famille présidentielle, qui sera imposé au perchoir par Macky Sall, en septembre 2022. Aminata Touré, ivre de colère, amorce sa rupture avec le camp présidentiel et son rapprochement avec le Pastef. Dès 2023, elle partage ses premières scènes de meeting avec le principal parti d’opposition. Très vite, ses anciens alliés lui reprochent d’avoir retourné sa veste. Une démarche qui relève, pour certains, d’une forme de suicide politique.
Oui, j’avais critiqué Ousmane Sonko en 2022. Nous étions concurrents. Mais il y avait un risque de basculement du pays dans l’inconnu.
« La contradiction principale avec Macky Sall, ce n’était pas la fonction de présidente de l’Assemblée nationale. C’était sa volonté de briguer un troisième mandat, à laquelle j’étais opposée » défend-elle aujourd’hui. « Oui, j’avais critiqué Ousmane Sonko en 2022. Nous étions concurrents. Mais il y avait un risque de basculement du pays dans l’inconnu. Les manifestations [de juin 2023] ont fait plusieurs morts », argue-t-elle. « Cela n’a donc pas été un problème, pour moi, de rejoindre l’opposition et Ousmane Sonko. Nous avons transcendé nos egos pour l’avenir du Sénégal. » En rejoignant le Pastef, Amina Touré revient-elle à ses premiers élans politiques ? Née en octobre 1962, elle a fait ses premiers pas de militantisme politique auprès de l’ancien ministre Landing Savané, leader du parti de gauche communiste And-Jef/PADS, dont elle sera la directrice de campagne lors de la présidentielle de 1993.
Au fil des années, l’ancienne fonctionnaire internationale s’impose comme l’une des principales figures de la présidence Macky Sall et de l’Alliance pour la République (APR), le parti présidentiel. Elle est successivement ministre, Première ministre, envoyée spéciale du chef de l’État, avant d’être nommée présidente du Conseil économique, social et environnement (Cese)… Jusqu’à la rupture aux lendemains des législatives. Un parcours politique dont elle ne regrette rien. Elle garde un souvenir particulier de son passage à la tête du ministère de la Justice, qu’elle confie avoir « aimé ».
« Cette fonction cadrait bien avec ma condition de militante de la justice sociale. Mais de tous les postes, celui de chef de gouvernement est le plus dur, physiquement et intellectuellement, avec de longues heures de travail. C’est le plus prenant, sans commune mesure. Mais on y trouve une satisfaction », nous confie-t-elle.
Reddition des comptes
Désormais alliée au Pastef, dont elle dit partager « le discours et l’approche panafricaniste », elle compte bien mettre sa longue expérience au service de Bassirou Diomaye Faye, 45 ans, dont la première année de mandat est loin d’être de tout repos. Depuis les révélations, en septembre 2024, de l’ampleur de la « dette cachée » héritée de l’ancienne administration, le Sénégal connaît une crise économique qui retarde la matérialisation des promesses de rupture faites par le Pastef.
Mais la jeune diplômée en économie de l’Université de Grenoble – qui dit avoir forgé ses convictions politiques dans les mouvements d’extrême-gauche –, va connaître très vite une carrière internationale fulgurante qui la conduira dans les bureaux régionaux de l’ONU, puis au siège, à New York, où elle occupera pendant dix ans le poste de directrice des Droits humains pour le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). « Une belle expérience du point de vue de la construction du leadership », glisse-t-elle aujourd’hui. De là, elle s’engage auprès de Macky Sall. D’abord, contre le troisième mandat d’Abdoulaye Wade, puis pour la conquête du pouvoir, en 2012. Après la victoire, Mimi Touré accepte la proposition qui lui est faite de prendre la tête du ministère de la Justice. Elle quitte New York et les couloirs des organisations onusiennes. Le salaire des hauts fonctionnaires onusiens, aussi. « Je voulais servir mon pays et contribuer à le faire avancer. L’épanouissement n’est pas que financier. C’était une bonne décision », se félicite-t-elle.
Aminata Touré juge justifiée la mise en examen de plusieurs de ces anciens collègues du gouvernement, dans le dossier de soupçons de malversation dans la gestion des fonds Covid, parmi lesquels Mansour Faye, le beau-frère de Macky Sall. « Ils doivent répondre de leurs actes. Ce sont des questions de bonne gouvernance. Cela n’a rien de politique », affirme l’ancienne Première ministre de Macky Sall. L’ancien président, dont elle critique aujourd’hui l’activisme sur le plan international, doit être entendu pour son rôle dans la répression des manifestations, entre 2021 et 2023, lors desquelles près de 80 personnes avaient été tuées, selon les chiffres officiels. « L’heure est venue pour que le processus démarre. Justice doit être rendue aux victimes » martèle-t-elle. Mais, bien sûr, il ne faut rien y voir de personnel.
