Une série de poursuites jugées alarmantes

Parmi les cas les plus récents figure celui du chroniqueur Abdou Nguer, interpellé pour la deuxième fois cette année. Déjà incarcéré en avril pour des propos jugés offensants, il a été à nouveau placé sous mandat de dépôt le 20 mai 2025 par le juge du 3e cabinet du tribunal de Dakar. Il est poursuivi pour diffusion de fausses nouvelles, offense au chef de l’État et apologie de crime ou délit.
D’autres cas illustrent la recrudescence des poursuites :
- Les militants du parti Pastef, Assane Gueye alias Azoura Fall et Ousseynou Kairé, jugés en flagrant délit le 21 mai pour injures contre l’ancien président Macky Sall, risquent jusqu’à six mois de prison, dont trois ferme.
- Assane Diouf, activiste connu, a été placé sous mandat de dépôt le 3 mars pour des propos jugés diffamatoires envers une autorité assimilée au président de la République.
- Le journaliste Simon Faye, rédacteur en chef de SenTV et Zik FM, a été brièvement incarcéré le 10 avril pour diffusion de fausses nouvelles, avant d’être libéré sous contrôle judiciaire.
Un arsenal juridique obsolète et liberticide, selon les ONG
Dans leur communiqué, les organisations dénoncent l’ambiguïté de l’article 255, hérité du contexte post-colonial, et jugé trop vague pour garantir un cadre juridique clair et protecteur des libertés. Ce texte prévoit des peines de un à trois ans de prison et des amendes pouvant aller jusqu’à 1 500 000 FCFA, même pour des publications numériques. Selon la société civile, cela ouvre la voie à des interprétations subjectives, favorisant une criminalisation excessive des discours critiques.
Les organisations signataires rappellent que les standards internationaux, notamment ceux des Nations Unies, encouragent les États à éviter le recours à des lois floues pour restreindre la liberté d’expression. Le principe de proportionnalité est régulièrement bafoué, soulignent-elles, lorsqu’une simple opinion exprimée dans l’espace public mène à l’incarcération.
Des réformes attendues et des propositions concrètes
Pour mettre fin à ces dérives, les organisations appellent l’État du Sénégal à :
- Modifier les articles 255 et 80 du Code pénal afin de les conformer aux normes internationales en matière de droits humains ;
- Réexaminer les sanctions liées à la diffamation, à l’injure, à l’offense et à la publication de fausses informations, afin qu’elles soient nécessaires, justifiées, proportionnées et compatibles avec la liberté d’expression ;
- Promouvoir des alternatives à la prison, comme le sursis, les travaux d’intérêt général, des amendes adaptées aux revenus, ou encore des programmes de sensibilisation à l’usage responsable de l’information ;
- Respecter les engagements internationaux du Sénégal, notamment ceux issus de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- Mettre en place un juge des libertés et de la détention, afin de renforcer les garanties autour des mesures privatives de liberté.
Un risque pour l’image démocratique du pays
En conclusion, les organisations préviennent : la multiplication des poursuites sur la base de l’article 255 menace la réputation démocratique du Sénégal, souvent cité en exemple en Afrique. Elles insistent sur le fait que la démocratie ne se limite pas à l’organisation régulière d’élections, mais repose sur un espace civique libre, le respect des libertés fondamentales et la protection des voix dissidentes.« Le Sénégal ne peut préserver son statut de démocratie exemplaire que s’il garantit à chaque citoyen la liberté d’exprimer ses opinions sans craindre la prison », martèle le communiqué.