En insistant sur la « continuité de l’État », Sonko se pose en simple exécutant d’un processus déjà enclenché, tout en assumant pleinement le choix politique de transmettre le dossier à la justice. Il ajoute même espérer que « les concernés ne soient pas coupables », manière de dire : ce n’est pas moi qui accuse, c’est le rapport ; ce n’est pas moi qui condamne, c’est la justice.
Mais politiquement, le message est limpide : Mimi Touré est une figure citée dans un rapport de manquements graves, et il considère qu’une telle situation est problématique pour quelqu’un qui aspire à occuper une place centrale dans la nouvelle majorité.
« Des personnes épinglées n’ont pas leur place parmi nous »
La véritable charge intervient lors de la Tera meeting du 8 novembre. Sur une tonalité plus politique, plus tranchée, Sonko raconte qu’une dame était pressentie pour remplacer Aïda Mbodj à la tête de la coalition Diomaye Président. Allusion transparente à Mimi Touré.Il lâche alors une phrase qui fait l’effet d’une ligne rouge :
« Des personnes épinglées ne peuvent pas être en notre sein, elles n’y ont pas leur place. »Ici, le Premier ministre ne parle plus comme simple chef de gouvernement exécuteur de rapports ; il parle comme chef de courant, gardien de la « rupture » morale promise à sa base. Dans cette grille de lecture, le rapport sur le CESE n’est pas seulement un document administratif : c’est un marqueur de fiabilité éthique. Ceux qui y sont cités ne peuvent pas incarner le nouveau récit politique.
En ciblant ainsi Mimi Touré, Sonko règle aussi un vieux contentieux politique : celle qui fut jadis visage de la lutte contre la corruption sous Macky Sall, puis opposante au sein de Benno, se retrouve renvoyée à son propre passif de gestion.
Diomaye Faye temporise : le rapport « commandité » et la nomination de Mimi
En face, le président Bassirou Diomaye Faye adopte une posture nettement plus prudente vis-à-vis de l’ancienne présidente du CESE.Lors d’une rencontre avec le bureau politique de Pastef, il aurait qualifié le rapport visant Mimi Touré de « commandité ». Le mot est lourd : il laisse entendre que le document, bien que formellement établi, serait le produit d’un contexte politique particulier, donc à manier avec précaution.
Quelques jours plus tard, la décision tombe : Mimi Touré est nommée superviseure générale de la coalition Diomaye Président, en remplacement d’Aïda Mbodj. Cette nomination intervient à peine deux jours après le Tera meeting où Sonko venait de théoriser que les « épinglés » n’avaient pas leur place dans la coalition.
Le contraste est saisissant :
- d’un côté, un Premier ministre qui brandit le rapport CESE comme preuve de sa détermination à faire appliquer la reddition des comptes, y compris envers des alliés potentiels ;
- de l’autre, un président qui semble considérer ce même rapport comme politiquement biaisé, et qui choisit au contraire d’intégrer Mimi Touré au cœur du dispositif politique.
Mimi Touré, enjeu et révélateur des contradictions de la rupture
La trajectoire de Mimi Touré dans ce nouveau paysage est paradoxale.- Pour une partie de l’opinion, elle reste l’ancienne « Madame Anti-corruption » de Macky Sall, ex-Premier ministre, ex-tête de liste législative, passée par plusieurs rôles clés dans l’appareil d’État.
- Pour les soutiens les plus radicaux de Sonko, elle symbolise au contraire l’ancien système : cumul de responsabilités, proximité avec Macky Sall, et aujourd’hui rapport défavorable de l’IGE.
Diomaye, lui, en la nommant superviseure de la coalition, en minimise la portée accusatoire. Soit parce qu’il estime le rapport discutable, soit parce qu’il privilégie une logique d’alliances politiques larges, quitte à brouiller la pureté du message initial.
Dans ce bras de fer symbolique, Mimi Touré n’est plus seulement une personnalité politique sénégalaise : elle devient le miroir des contradictions de la gouvernance actuelle. Peut-on prôner une rupture totale avec les « épinglés » et, dans le même temps, recomposer avec eux pour stabiliser une coalition ?
Sonko, Mimi et la bataille du récit
Au fond, ce qui se joue entre Sonko et Mimi, c’est une bataille du récit :- Mimi cherche à se repositionner comme alliée utile du nouveau pouvoir, forte de son expérience, de son réseau et de son statut d’opposante à Macky en fin de régime.
- Sonko veut rester le gardien de la promesse de reddition des comptes, celui qui ne transige pas avec les rapports des corps de contrôle, quitte à froisser des alliés et à créer des tensions avec la Présidence.
« Même s’il y avait un rapport qui épingle mon propre frère, je le transférerais »,il n’adresse pas seulement un message à l’opposition ou à l’opinion ; il l’adresse aussi, indirectement, à Mimi Touré et à tous ceux qui, au sein du système, espèrent que les rapports resteront lettre morte.
Inversement, lorsque Diomaye Faye parle de rapport « commandité » et officialise la promotion politique de Mimi, il envoie un autre signal : la rupture sera négociée, pas dogmatique ; certains « épinglés » pourront être recyclés, à condition d’être jugés utiles au nouvel équilibre.
Une reddition des comptes à géométrie variable ?
L’axe Sonko–Mimi met en lumière une question centrale : la reddition des comptes sera-t-elle universelle ou sélective ?- Si les rapports servent à éliminer des adversaires mais sont relativisés ou contestés lorsqu’ils touchent des alliés, le discours de rupture perd rapidement en crédibilité.
- Si, au contraire, le gouvernement accepte de laisser la justice se prononcer sereinement sur Mimi Touré – qu’elle soit blanchie ou condamnée – sans faire pression ni instrumentaliser le calendrier, alors le cas Mimi pourrait devenir un test grandeur nature de l’indépendance de la justice.
En attendant, une chose est sûre : dans ce nouveau moment politique, Mimi Touré n’est plus seulement un nom dans un rapport : elle est devenue un test de vérité pour le projet de rupture porté par Ousmane Sonko.
