Le monde est dual, tout comme l’être humain. Ombre et lumière, détresse et espoir, douleur et éclat. C’est dans cette tension entre les contraires qu’Adama Bineta Sow tisse l’étoffe de son premier long-métrage Timpi Tampa, en posant une question brutale : « Jusqu’où peut-on aller pour sauver sa mère cancéreuse, abandonnée par un mari polygame ? » La réponse, elle, est immédiate : « Agir.»
Et c’est ce que fait Khalilou, le personnage principal, dans un récit qui mêle comédie, drame, dénonciation sociale et pulsion de vie. Khalilou agit, mais de façon inattendue, en devenant Leila, son alter ego féminin. Ce double rôle, brillamment interprété par Pape Aly Diop, devient le point d’ancrage d’un film aussi drôle que poignant, aussi stylisé que sincère.
Un film solaire dans une société en mutation
Avec Timpi Tampa, dont le titre reprend l’onomatopée culte du tube d’Ismaël Lô (qui signe ici la musique du film), Adama Bineta Sow livre une œuvre vivante, rythmée, populaire et profondément ancrée dans son époque. Ce n’est pas un film sur la dépigmentation, c’est un film sur la résistance à la norme, sur la beauté noire revendiquée, sur l’amour filial, et sur la confiance en soi.Derrière le rire et l’énergie pop des ados se cache une tension dramatique : Rama, la mère de Khalilou, est atteinte d’un cancer de la peau, conséquence directe de l’utilisation de produits dépigmentants. Le combat de son fils pour la sauver prend alors une tournure inattendue : en devenant Leila, Khalilou infiltre un univers de mode dominé par les peaux claires pour renverser les codes et faire triompher les “Naturelles Belles et Rebelles” face au clan bling-bling de Fatima.
Une comédie dramatique pleine de style et de fond
Timpi Tampa joue avec les codes du teen movie, du film musical, du mélodrame, et s’ouvre à une large audience. Il assume son statut de film choral, porté par une nouvelle génération d’acteurs et d’actrices issus des séries télé sénégalaises, prêts à exploser sur grand écran. Mention spéciale à Awa Digueul dans le rôle de Rama, bouleversante, et à Yacine Sow Dumon (Fatima), charismatique rivale.La mise en scène alterne séquences comiques et instants de grande tendresse, dans un montage dynamique, nourri de musique, de couleurs et de ruptures de ton maîtrisées. Le déguisement devient ici un outil de subversion, un passe-muraille entre les mondes, entre les genres, entre les luttes.
Un cinéma populaire, féministe et politique
Timpi Tampa est aussi une première audace réussie pour la société Cinékap Groupe, connue jusqu’ici pour ses films d’auteur. Cette incursion dans un cinéma plus grand public ne trahit pas l’exigence, elle l’élargit. Elle donne la parole à une réalisatrice jeune, à un sujet rarement traité en fiction — la dépigmentation —, et à des thématiques fortes : l’amour maternel, la pression sociale, le poids du regard, la quête d’acceptation, et l’identité noire comme affirmation.
Ce film rappelle, sans didactisme, que la beauté ne se négocie pas, qu’elle est plurielle et qu’elle peut — et doit — être célébrée dans sa diversité.
Un message clair, une émotion sincère
En filigrane, Timpi Tampa questionne les injonctions faites aux corps des femmes, démonte les artifices des faux standards de beauté (cheveux lissés, teint éclairci, maquillage figé), et oppose à cette illusion un message lumineux : “Black is beautiful”.Le film ne prétend pas tout résoudre, mais il ouvre un espace de réflexion joyeux, pertinent et nécessaire. C’est un cinéma du présent, en mouvement, qui n’a pas peur de croiser les genres ni d’ébranler les stéréotypes.